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d’espèces ? Et d’abord comment l’étendue des corps peut-elle provenir d’un assemblage de principes inétendus ? La réponse à cette première question ne nous paraît pas difficile. L’étendue existe antérieurement à la matière. Ce sont deux choses distinctes, sans aucune relation de causalité ou de finalité. La matière ne procède pas plus de l’étendue que l’étendue ne procède de la matière. Cette simple remarque suffit à résoudre la difficulté de concevoir comment la dimension des objets résulte d’un ensemble de points dynamiques qui n’en ont aucune. L’étendue préexistant à tout, il est clair en effet que quand des énergies primitives, s’associent pour donner naissance, par mille complications successives, aux phénomènes et aux corps, ce qu’elles engendrent vraiment est non pas l’apparence extensive, qui n’est que l’ombre de la réalité, mais bien ce faisceau d’activités variées et diverses qui nous servent à caractériser et à définir les phénomènes et les corps.

Que l’étendue soit une apparence et une image plutôt qu’une propriété essentielle et constitutive des corps, c’est ce qui ne fait plus aujourd’hui l’objet d’aucun doute pour les savans qui sont sortis de l’empirisme. L’étendue des corps est un phénomène qui naît du conflit de la force avec notre esprit. M. Ch. de Rémusat en a donné dès 1842 une première et remarquable démonstration. D’après lui, la force est la cause de l’étendue, c’est-à-dire la sensation de l’étendue est une modification de notre sensibilité, déterminée par des forces analogues à celles qui produisent des sensations d’un ordre plus complexe. Quand vous éprouvez une commotion électrique, vous êtes frappé. La percussion, c’est la sensation d’un contact, en d’autres termes, de l’impulsion de quelque chose d’étendu. Or dans cet exemple, dit M. de Rémusat, la cause de la percussion, l’électricité, n’a pas d’étendue. Donc, ajoute-t-il, ou l’électricité n’est rien, ou elle est une force qui nous affecte d’une façon comparable à l’étendue. Une force dénuée des apparences ordinaires de l’étendue peut donc produire sur nous les effets d’un solide en mouvement[1]. Dans ces dernières années, un profond métaphysicien, M. Magy, a fait voir par des argumens nouveaux que l’étendue corporelle n’est qu’une image qui naît de la réaction interne de l’âme contre l’impression sensorielle et que l’âme transfère aux corps extérieurs par une loi analogue à celle qui lui fait localiser dans chaque organe des sens l’impression que cependant elle n’a pu percevoir que dans le cerveau. Toute sensation de saveur, d’odeur, de lumière ou de son est un phénomène de réaction psychologique qui se produit dans l’âme quand elle est

  1. Essais de philosophie, t. II. — De la Matière, p. 281 et suiv.