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IX.
EDWARD DELANEY A JOHN FLEMMING.


23 août.

Je reviens de la plus étrange entrevue avec Marjorie. Elle ne m’a rien moins que confessé l’intérêt qu’elle te porte ; mais avec quelle modestie, quelle dignité ! Ses paroles m’échappent comme effarouchées tandis que ma plume essaie de les ressaisir. En réalité, ce qu’elle dit importait moins que sa manière de dire… et comment rendre l’accent, la physionomie ? Peut-être n’est-ce pas le détail le moins piquant de cette incroyable aventure qu’elle ait tacitement avoué à un tiers le goût qu’elle éprouve pour un homme qu’elle n’a jamais vu ; mais j’ai perdu, grâce à toi, la faculté de m’étonner. J’accepte les choses comme on le fait en rêve. Maintenant que je suis rentré dans ma chambre, je crois avoir été le jouet d’une illusion : les noires masses d’ombre sous les arbres, les mouches à feu exécutant des danses pyrrhiques dans les bosquets, plus loin la mer, et devant moi Marjorie accoudée à son hamac, tout cela m’apparaît vaguement. Il est plus de minuit… Je suis trop fatigué pour écrire davantage.


Mardi matin.

Mon père s’est mis en tête tout à coup d’aller passer quelques jours aux Sables. Pendant ce temps, tu n’auras pas de lettres. Je vois de ma fenêtre Marjorie se promener dans le jardin avec le colonel. Je voudrais l’entretenir seule ; probablement je n’en aurai pas l’occasion avant notre départ.


X.
EDWARD DELANEY A JOHN FLEMMING/


28 août.

Tu tombais en enfance, dis ? Ton intelligence était éteinte au point que mes envois épistolaires te paraissaient merveilleux, n’est-ce pas ? Je n’ai point de peine à m’élever au-dessus du sarcasme que contenait l’on épître du 11 courant, lorsque je vois que cinq jours de silence de ma part suffisent pour te plonger dans des abîmes de découragement. Nous sommes revenus ce matin seulement d’Appledore, une île enchantée à quatre dollars par jour, et je trouve sur mon bureau trois lettres de toi ! Évidemment tu ne doutes pas du plaisir que me procure ta correspondance. Ces lettres