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apparemment qu’il pouvait sans honte confesser son impuissance à mieux faire. Il ne s’est pas trompé, et nous n’en voulons d’autre preuve que la toute petite toile qu’il a nommée Souvenir de Nice. Toute l’harmonieuse gaîté, toute la douceur souriante de la nature méridionale et tempérée respire dans ce petit bout de jardin, dans cette allée de sable fin bordée de buissons de fleurs, dans ces myrtes, ces palmiers, ces orangers couverts de fruits, et même dans cette petite villa dont on aperçoit le mur badigeonné de jaune et le toit plat couvert de tuiles. A peine y a-t-il assez de place pour un bout de ciel et pour un fond de paysage baigné d’une vive et fine lumière. Cette petite toile n’est pas un tableau ; mais, à raison même du désordre de la composition et de la difficulté de distribuer la lumière sur tant de détails si familièrement rendus, elle est une merveille d’exécution savante, harmonieuse et vraie.

Sommes-nous portés aux jugemens moroses ? Il nous semble que la peinture de portraits, qui est à nos yeux le fond le plus solide de l’art, et qui a jadis tant illustré l’école française, n’est pas aujourd’hui en progrès. Il ne faut pas abuser des petites causes pour l’explication des grands effets, et cependant il est bien certain que l’usage répandu de la photographie est pour quelque chose dans ce déclin. Après tout, l’on n’apprend à bien faire que ce que l’on fait souvent. Les artistes de nos jours, ne peignant plus guère que d’après des modèles d’atelier, dont ils ne cherchent pas à exprimer la personne morale ni à rendre exactement la ressemblance, se font de la nature un simple sujet d’études, une matière à exercices pittoresques, et perdent l’habitude de la serrer de près. Ceux qui par hasard révèlent un talent naturel pour le portrait deviennent les favoris et les victimes de la mode, qui les condamne à s’y vouer exclusivement. Les plus médiocrement doués y renoncent, et s’adonnent aux tableaux de genre, aux œuvres de fantaisie, aux excentricités à l’aide desquelles ils espèrent forcer l’attention du public. Cette cause toute matérielle et technique entre certainement pour une plus grande part dans l’affaiblissement des études que notre prétendue décadence intellectuelle et morale. Ce n’est pas la faute de notre scepticisme ou de notre mépris de l’idéal, si nos jeunes peintres se voient privés de la forte discipline qu’ils trouvaient jadis dans la pratique même de leur métier, du temps où leur principal gagne-pain était l’étude consciencieuse et la reproduction réfléchie de la figure humaine.


DUVERGIER DE HAURANNE.