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Jacques. Au risque d’être accusé de paradoxe, nous avouons que nous le préférons à l’autre. Jacques est un bel enfant aux boucles blondes, aux yeux noirs, au front limpide, qui se tient debout gravement, les mains croisées. Il faut ajouter qu’il est vêtu de bleu des pieds à la tête, et probablement voué au bleu ; c’est ce qui aura inspiré à l’artiste l’idée étrange de n’admettre absolument dans le tableau que du bleu sous ses diverses nuances. Théophile Gautier aurait appelé cette toile « une symphonie en bleu majeur ; » quant au mode mineur et plaintif, on ne le trouve jamais sous le pinceau de M. Carolus Duran. Il n’a employé à ce tour de force que les variétés de bleu les plus puissantes : la robe de l’enfant est en velours bleu sombre avec des crevés de satin bleu vif ; le tapis sur lequel il se tient est d’un bleu franc et fort ; le fond également est bleu, mais en se rapprochant du sol, et sans doute pour fournir une opposition avec le bleu de la robe, il tourne à une nuance aigre et verdâtre ; cette note criarde tire l’œil et détruit toute la bizarre harmonie du tableau. Tout le haut de la tête est d’une facture exquise, extraordinairement grasse et puissante. Des boucles soyeuses, d’un blond foncé, encadrent avec douceur ce visage frais et potelé, mais déjà fier, et ombragent un front lumineux, transparent, qui se modèle, sans solution de continuité, d’un seul coup de pinceau circulaire. Les paupières et le dessus des yeux, le globe des yeux lui-même, d’un blanc bleuâtre et pur, sont d’une finesse, d’une précision, d’un fondu merveilleux ; la bouche, petite et un peu charnue, s’ouvre en vermillon vif, comme une fleur. Velasquez ne désavouerait pas ce haut de visage. Le menton au contraire est confus et heurté ; les plans y sont lourds, mal fondus et sans harmonie ; les épaules, figurées en teinte plate, semblent inachevées. Les deux mains potelées qui se croisent sur le devant, et qui tiennent un camellia rouge, sont écrasées à la fois par le déluge de bleu qui les noie et par le ton brillant de la fleur ; elles paraissent ternes, et elles sont en effet traitées largement, mais d’une touche un peu grossière. Ces négligences de M. Carolus Duran sont probablement volontaires ; malheureusement il est parfois difficile d’en saisir la véritable intention.

Décidément les portraits d’hommes inspirent mieux Mlle Jacquemart que les portraits de femmes. Des deux toiles qu’elle expose cette année, l’une est pleine de vigueur et frappante de vérité : c’est le portrait de M. Dufaure. L’autre est un cartonnage sec et sans valeur ; c’est le portrait de la marquise de G…, une blonde et charmante femme que tout Paris connaît. La physionomie robuste, inculte, originale, presque un peu sauvage de l’illustre orateur est rendue avec autant de bonheur que de patience. Comme toujours,