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recherchent avant tout la ligne le style, et qui ne craignent pas une certaine originalité poussée jusqu’à la recherche, la donneront sans hésiter à M. Cabanel. Ceux que séduit plutôt la vigueur pittoresque, la peinture riche et grasse, la hardiesse poussée jusqu’au tour de force, préféreront M. Carolus Duran. Les bourgeois enfin, ceux qui aiment les idées simples, l’absence de tout système, le compte-rendu scrupuleux de la nature, s’attacheront à Mlle Jacquemart. Pour nous, qui sommes éclectiques, essayons de juger séparément ces trois artistes et de mettre simplement leurs qualités en balance avec leurs défauts.

M. Cabanel est un artiste ingénieux et délicat auquel l’ombre même de la vulgarité est odieuse. Il aime à chercher, et, lorsqu’il a trouvé, il cherche encore quelque chose de plus. Il dédaigne les moyens vulgaires, les effets grossiers ; il se plaît à mettre du nouveau dans chacune de ses toiles ; il tombe parfois dans la manière à force de viser au style. Son pinceau, toujours inquiet, souvent même timide, poursuit la recherche de la forme aux dépens de la masse, et, soit qu’il rétrécisse, soit qu’il exagère, il laisse au spectateur une certaine impression de gêne, de malaise et d’effort. Il n’a ni la fermeté et la plénitude sculpturales, ni le libre et facile épanouissement de la vie ; en un mot, c’est un talent juste et fin, mais souffrant et tourmenté, qui s’épuise à fixer en traits ineffaçables des impressions trop fugitives pour se laisser étreindre aisément. Son portrait de Mme de M… a certainement grand air ; il est d’une finesse de dessin exquise, trop exquise même pour parler franchement aux yeux ; mais il ne donne pas du tout l’impression de la luxuriante beauté du modèle ; il n’a pas l’aspect fluide et fondu de ces chairs blondes et radieuses qui semblent descendre d’une toile de Rubens. La tête paraît maigre, étriquée, amincie par une minutieuse recherche de la forme. La trop scrupuleuse perfection des lignes dans le détail tue l’harmonie des lignes dans l’ensemble. L’attitude est noble, mais je ne sais pourquoi elle paraît sans grandeur. Deux bras magnifiques sortent des manches de la robe ; ils sont d’un modelé trop fin, qui paraît mesquin, parce qu’il jure avec leur volume. Quant à la couleur, elle est criarde sans être vulgaire, et un malheureux fond rouge, imaginé pour servir de repoussoir au personnage, le ternit au point d’en obscurcir le dessin et la structure.

La sécheresse un peu métallique du crayon, j’allais dire du burin de M. Cabanel, convient mieux au portrait de Mme de Saint-R… Cette beauté américaine, aux traits aiguisés comme une figurine d’acier, était bien faite pour être ciselée en pierre dure par M. Cabanel. Ce sourire énigmatique et froid, cette grâce glaciale et