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douceur. Un autre groupe, an bord de la forêt, s’occupe à couper des liens pour former les gerbes, Plus d’une de ces figures est d’un dessin creux et lourd. Les draperies non plus n’existent pas ; ce sont des sarraus informes où les corps ne peuvent trouver place, L’excessive simplicité de lignes qu’affecte M. Puvis de Chavannes ne s’accorde guère avec les exigences du modelé intérieur. Il y a pourtant des silhouettes vraiment belles, qui rappellent dans leur sobriété celles des figures peintes sur les vases grecs, entre autres celle de la femme vue de profil, assise sur ses talons, et qui tient son enfant par les deux poignets, Certainement l’ensemble de cette toile a du charme et de la noblesse ; l’impression en est calme et profondément champêtre. Bien que les groupes et les personnages soient largement espacés, on n’y sent pas autant de vide que dans certaines autres compositions de M. de Chavannes. Quel dommage qu’une secrète impuissance paralyse tant d’heureuses qualités !

Enfin voici une œuvre vraiment imposante, d’une composition grandiose, d’une exécution imparfaite, mais d’un sentiment hardi, sincère, dramatique, qui dénote un talent mâle, un tempérament viril, une imagination vaillante et portée aux grandes choses. Nous voulons parler de l’énorme tableau de M. Joseph Blanc, l’Invasion, L’an dernier déjà M. Blanc, encore élève de l’école de Rome, avait exposé une toile d’un style assez lourd et d’un archaïsme un peu barbare, mais qui se distinguait par de remarquables qualités de dessin. Cette fois il se met hors de pair. N’oublions pas qu’il s’agit d’un tout jeune homme, presque d’un débutant, et ne nous arrêtons pas à critiquer des défauts que l’expérience atténuera plus tard : M. Blanc n’est pas né coloriste. Sa peinture est terne, lourde, criarde, quelquefois heurtée, souvent confuse. Les divers plans de son tableau sont tellement brouillés qu’il faut un certain effort d’attention pour s’en rendre compte. Faisons cet effort, l’objet en vaut la peine.

L’invasion ! ce titre est trompeur. On pourrait croire qu’il s’agit d’une scène moderne, d’un tableau de genre représentant quelques bandes de soldats pillards en train de dévaliser un village. Nous ne sommes pourtant pas en France, et ce ne sont pas des soudards prussiens que M. Blanc nous met sous les yeux. Nous sommes dans l’antiquité, sans doute en Grèce, peut-être à Corinthe, et c’est le cortège guerrier d’un imperator romain qui pénètre dans l’Acropole, défilant au pied des gradins du temple où habitent les dieux protecteurs de la cité vaincue. Le césar anonyme s’avance à cheval, le visage sévère, le buste droit, dominant tout de la tête, le bras levé, tenant, et appuyant sur sa cuisse son long bâton de commandement, grandi encore par les plis de son manteau de