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réussît, mais avec effort, et non sans un peu de lourdeur. Le talent de M. Thirion n’est pas en décadence ; cependant il a encore des progrès à faire pour arriver au premier rang.

M. Jean-Paul Laurens a une tout autre manière de traiter les sujets religieux ou bibliques. Il ne paraît pas avoir la prétention d’en pénétrer ni d’en exprimer le sens ; il n’y voit qu’une matière à de molles amplifications pittoresques. Il y a du savoir-faire dans sa Piscine de Bethsalda ; néanmoins c’est un des tableaux les plus déplaisans que l’on puisse voir. Ce qui nous y choque le plus, ce n’est pas tant d’y trouver un étalage affecté de laideurs et de maigreurs maladives ; c’est la prétentieuse vulgarité d’une composition qui n’exprime aucun sentiment, aucune idée, aucun effet pittoresque un peu frappant, où la conviction et la passion font absolument défaut. Le dessin, quoique assez habile, est maigre et systématiquement tourmenté. Il y a de la couleur, mais elle est tour à tour lourde et vitreuse. Les chairs, quoique brutalement colorées, semblent illuminées par une lumière intérieure. Les draperies semblent éclairées par le dedans ; elles ont un jour de transparence au lieu d’un jour de reflet, sauf cependant les étoffes bleues, qui sont épaisses et opaques comme des taches d’encre. Ce tableau manque de vigueur réelle, parce qu’il manque de franchise. Les meilleures figures sont celles du paralytique décharné qu’on voit de dos, couché sur un paillasson à droite de la piscine, et du jeune homme suspendu de l’autre côté au-dessus du bassin où l’on va le plonger. Quant à l’ange aux ailes déployées qui plane au-dessus de la piscine et qui agite l’eau avec une longue gaule, il est difficile d’imaginer une figure moins surnaturelle et d’un caractère plus piteux. Il est vrai qu’il appartient à une variété inférieure de l’espèce angélique ; c’est un ange d’hôpital, un peu flétri par le contact des misères humaines, et non pas un de ces brillans messagers célestes qui parcourent l’espace en y laissant une trace lumineuse. Dans tous les cas, ce visage usé, creusé, fané, ces cheveux plats, cette peau huileuse et luisante au soleil, cette expression insignifiante de custode qui fait machinalement son métier, lui donnent l’air d’un baigneur ou d’un infirmier. Malgré ses grandes ailes à plumes grises et brunes, qui ressemblent plus à celles d’un vautour ou d’une chauve-souris qu’à celles d’un ange, on ne se rend pas compte de la façon dont il se soutient dans l’air. Si les bras étaient mieux tendus et s’appuyaient plus fortement sur le bâton qu’ils tiennent, on dirait qu’il saute en s’aidant d’une gaule. Que le lecteur nous pardonne ces comparaisons irrévérencieuses ; c’est le peintre et non le sujet qui nous les inspire. Daumier ne peindrait pas autrement, s’il avait à travestir une scène biblique.

Il y a aussi du talent avec une pointe de caricature dans la Vision