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de matière ; il en a pris occasion pour représenter la lutte éternelle de l’homme et de la femme, de la femme qui calcule et qui prend plaisir à briser, de l’homme qui se confie et qui se laisse asservir. Il nous semble qu’il aurait encore mieux rendu cette pensée, s’il avait prêté à sa Dalila les séductions qui lui manquent. Ces réserves une fois faites, reconnaissons que ce corps disgracieux se rachète par un modelé large, fin, et par un grand effet de blancheur lumineuse. Le fond est traité à la façon des Vénitiens, et la silhouette de la servante, se détachant dans l’ombre sur le ciel, est d’un grand effet pittoresque. — On retrouve quelques-unes des mêmes qualités de peinture dans un portrait d’homme du même M. Humbert, figure énergique, fièrement campée, largement et vigoureusement peinte, dont la tête est malheureusement écrasée par un fond rouge éclatant sur lequel elle se détache assez mal. C’est là une de ces fantaisies dangereuses auxquelles la fougue pittoresque de M. Humbert l’entraîne plus souvent qu’il ne faudrait. De Dalila à Judith, il n’y a qu’un pas ; on ne soit pas de l’histoire biblique ni de la psychologie féminine. De M. Humbert à M. Thirion, la transition est également facile : ils appartiennent à la même école ; seulement M. Humbert est un novateur, un batailleur d’avant-garde, il se plaît aux entreprises téméraires et aux essais risqués. M. Thirion est d’un tempérament plus calme et d’un talent plus imitatif. Sa Judith rentrant victorieuse à Béthulie et présentant aux soldats la tête d’Holopherne est d’une inspiration toute vénitienne, mais d’un vénitien fort affaibli. Titien et Véronèse y ont également contribué, chacun pour sa part. C’est à Véronèse qu’il faut rattacher la figure pâle de Judith, qui se tient debout, un cimeterre à la main, fièrement et richement drapée, couverte de colliers et de pierreries, et vêtue d’une robe de ce vert brillant qu’affectionnait ce grand maître ; c’est encore à Véronèse, mais surtout à Titien qu’il faut rattacher le groupe de soldats qui se presse à côté d’elle. Il y a surtout un nègre accoudé, vêtu d’une cotte de mailles, dont la tête appartient à Véronèse et la cotte de mailles à Titien. Ce qui malheureusement est bien du fait de M. Thirion, c’est le dessin étriqué de sa Judith, c’est surtout le grossier procédé par lequel il essaie de détacher de la muraille le bras levé d’un des soldats, en le cerclant d’une épaisse ligne noire : tous les peintres de cette école ont, paraît-il, le même défaut. La couleur, du reste, quoique séduisante, est loin d’avoir la même solidité que celle de M. Humbert. — M. Thirion expose en même temps un portrait d’enfant blond, en ceinture bleue et en robe blanche ; c’est la première fois que cet artiste, dont les portraits de femmes sont toujours un peu tristes, aborde les tons frais et clairs. En somme il y