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Baigneuse de M. Schutzenberger est une jolie Alsacienne au type grec, qui descend d’un mouvement aisé les marches brisées d’une piscine envahie par la végétation des ruines. Le tableau de M. Gauthier est une imitation des vieux maîtres ; mais l’archaïsme y est tempéré par le goût, et n’a rien qui nuise à la correction du dessin. Saint George est debout, bardé de fer, calme et grave, tenant d’une main sa lance ornée de banderoles, l’autre main sur la poignée de son épée. Il est bien posé, de trois quarts, une jambe en avant ; son attitude est ferme, simple, avec un certain air de recueillement religieux. Il semble complètement étranger à l’action violente qu’il vient d’accomplir ; on sent qu’il a remporté cette victoire sans effort, à la façon d’un messager céleste, confiant dans la force invincible que lui prêtent les ordres d’en haut. Le dragon lui-même, gisant à l’entrée de sa caverne, coloré d’un beau vert, et versant à flots par sa blessure un sang rose et carminé, nous confirme dans l’idée qu’il ne s’agit point d’une action réelle. La tête du saint George est d’un beau dessin, d’un type qui rappelle celui des saints de Luini ou celui des premières productions de Raphaël ; elle respire, comme tout le personnage, une sérénité noble. Voilà un tableau intéressant ; mais ce n’est pas encore là de la grande peinture, c’est de l’art de seconde main, et le style même en est emprunté.

Est-ce donc à M. Manet que nous serons réduits à demander le secret du grand art ? M. Manet a des prétentions à l’originalité. On dit qu’il a fait école ; on veut dire sans doute qu’il a faussé les idées de quelques débutans sans expérience, et qu’il a groupé autour de lui un certain nombre de barbouilleurs aigris, impuissans et vaniteux. Toujours est-il que M. Manet est un maître, un réformateur, et qu’il ne faut parler de lui qu’avec respect. Les deux ouvrages qu’il met sous nos yeux cette année sont incontestablement des œuvres de style, je ne dirai pas d’un beau style, mais de son style à lui. Pour ce peintre méconnu du vulgaire et dédaigneux de toutes les petites habiletés de l’art, l’enseigne du réalisme n’est évidemment qu’un masque qui cache un système d’esthétique sui generis. La réalité a-t-elle jamais ressemblé à ces mannequins mous et informes, blafards, violacés ou noirâtres, grossièrement figurés à l’aide de plans baveux et indécis, sans harmonie, sans unité, sans ensemble, qu’on essaie de nous présenter comme le dernier mot de l’art moderne ? Il y a certainement telles enseignes de cabaret qui sont plus réelles que le prétendu réalisme de M. Manet. Sa toile intitulée le Repos, qui représente une femme vêtue de blanc et renversée sur un sofa, est un chaos qui défie toute description ; il faut avoir la foi pour essayer de démêler les bonnes intentions qui peuvent se cacher sous ce barbouillage malpropre et barbare. Quant au Bon bock, c’est une tête de buveur de bière, qui décèle