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n’est pas une œuvre satisfaisante ; on n’y sent pas assez l’effort, la difficulté vaincue, la recherche persévérante du mieux. Il est cependant difficile de n’en pas éprouver le charme, tout en sentant fort bien ce qu’il a de superficiel et de fragile. La scène est gracieuse et comique en même temps : au fond d’une forêt, à la lumière d’un soleil d’été tamisé par le feuillage, dans un demi-clair-obscur habilement traité, un faune a été fait prisonnier par des nymphes ; elles le tourmentent, le lutinent et cherchent à l’entraîner dans les eaux limpides d’une rivière. Le monstre cornu, qui n’a d’ailleurs rien de terrible, paraît fort effrayé ; il résiste de toutes ses forces en s’arc-boutant sur la berge, et il regarde avec terreur l’élément perfide où trempe déjà l’un de ses pieds fourchus. Quatre charmantes filles, moins nues que déshabillées, mais rieuses, gracieuses, blondes, blanches et nacrées, s’attellent à lui, le poussant et le tirant, qui par les bras, qui par les cheveux ; elles sont sœurs apparemment, car elles se ressemblent beaucoup malgré la variété des poses. Le grand défaut de cette peinture est dans la banalité du style ou plutôt dans l’absence du style, dans une certaine fausseté de couleur ou plutôt dans l’absence même de la couleur, dans un manque absolu de sincérité native, dans un je ne sais quoi d’artificiel et de frelaté qui sent son XVIIIe siècle bien plus que son paganisme ou sa renaissance. Ces nudités sont trop jolies pour être vraies ; ce ne sont pas là des nymphes qui habitent les forêts et les eaux, hâlées par le soleil, fortifiées par l’exercice et le grand air, parfumées seulement des fortes senteurs des bois ou des prairies ; ce sont des femmelettes à peine dépouillées de la batiste, de la dentelle et de la soie où elles emprisonnent leur peau blanche, et respirant encore la verveine ou la violette dont elles ont imprégné leurs vêtemens. La facture elle-même est plate, uniforme et comme satinée à force de poli. Tous les morceaux sont du même faire, et le satyre, n’était sa couleur brune, ne se distinguerait pas, tant il manque de vigueur, du groupe rose et blanc qui l’environne. Ce n’est pas du soleil qui pénètre dans ce bosquet et qui joue sur ces corps nus, ce n’est même pas un franc jour d’atelier ; c’est quelque chose qui simule la lumière sur quelque chose qui simule la couleur. Décidément le bosquet, les nymphes et le satyre de M. Bouguereau ont grand tort de nous faire songer involontairement à l’Antiope du Corrège.

Peut-être devrait-on tenir le même langage à M. Giacomotti pour son tableau de Vénus et l’Amour. Ce tableau n’est pas sans mérite ni surtout sans couleur, quoique d’une facture un peu lourde ; mais il a le défaut de rappeler par le sujet, comme par l’imitation du style, certaines œuvres inimitables de Corrège, et de les rappeler seulement pour les faire regretter. L’idée est gracieuse, quoique un peu mièvre. Vénus a dérobé son carquois à