Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 105.djvu/639

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

joues creuses, aux traits mal attachés, aux yeux caves et bistrés, ressemble aux saines et chastes madones de Raphaël, de Léonard ou de Corrège comme les panagias de la religion byzantine aux splendides déesses de l’antiquité grecque. Elle a de la mélancolie, mais ce n’est pas la mélancolie de l’extase, c’est celle de la fièvre : il faut la renvoyer, elle aussi, aux Marais-Pontins, où elle est née ; elle y figurera fort bien au second plan du tableau de la malaria. Quant à la figure du bambino, renversé sur les genoux de sa mère et levant vers le ciel un regard inspiré, elle est bien dessinée, expressive et nullement banale ; seulement le geste en est prétentieux et recherché. — Une autre toile de M. Hébert, la Tricoteuse, qui représente une jeune paysanne un peu malingre, cheminant dans un chemin creux, nous donne l’espérance que son talent n’est qu’engourdi. Cette figure est intéressante et naïve ; la peinture même en est fine et assez colorée, mais elle manque de saveur et de fermeté. M. Hébert a beaucoup mieux fait, du temps où il avait des prétentions plus modestes.

Il faut être encore plus sévère pour M. Landelle. Ce peintre distingué a une facilité banale qu’il dépense tout entière dans une perpétuelle répétition de lui-même. Il s’est consacré pour le reste de ses jours à ce qu’on appelle les figures de caractère, jeunes bohémiens, femmes égyptiennes, femmes moresques, femmes éthiopiennes. Comme il sait y mêler à juste dose et dans une proportion fort décente le pittoresque romantique avec la gravité et la correction classiques, il ne manque jamais de plaire au public, quoiqu’il aille s’affadissant, s’étiolant et se décolorant de jour en jour. Sa Samaritaine, qu’on pourrait tout aussi bien appeler d’un autre nom, n’a rien d’évangélique que le vase qu’elle vient de remplir à la fontaine, et avec lequel elle s’apprête sans doute à étancher la soif du divin voyageur. C’est une figure académique d’un type insignifiant, d’une exécution froidement convenable. Le Jeune bohémien est d’apparence moins molle, parce qu’il paraît plus coloré au premier abord, mais il n’est guère moins insignifiant et moins sec, sans compter qu’il est moins bien dessiné.

Est-ce chez M. Chaplin que nous allons retrouver cette peinture vigoureuse et saine dont nous voudrions, pour ainsi dire, nous remplir les yeux avant d’essayer de juger des œuvres plus vastes ? M. Chaplin est un homme d’un talent aimable et léger, à qui le XVIIIe siècle a légué en partie le secret de sa grâce facile et voluptueuse. Son coloris est clair et réjouissant, comme il convient à la peinture des trumeaux et des boudoirs ; il aime à parer de roses le sein des jeunes filles, à écarter un fichu coquettement chiffonné sur une épaule blanche, à faire briller une jambe mignonne sous une jupe un peu retroussée. Ce sont là ses jeux favoris, et il y réussit sans