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foule de barbouillages barbares qui n’avaient même pas toujours le triste mérite de prêter à la plaisanterie et de préserver du mauvais exemple par le ridicule où ils devaient tomber. Les admissions privilégiées étaient pour beaucoup dans cet abus. Grâce à l’exemption d’examen, on permettait à des hommes connus, parfois célèbres, de déshonorer leur talent en exhibant des œuvres négligées et grossières, qui ne servaient qu’à corrompre le goût du public.

Il n’en est plus de même aujourd’hui. Il a été reconnu qu’en pareille matière il fallait considérer, non pas les personnes, mais les œuvres, et qu’il ne devait pas y avoir de grades artistiques ni de privilèges officiels pour dispenser qui que ce fût de faire preuve de talent ou de travail. Cette règle a peut-être subi dans la pratique quelques dérogations inévitables ; cependant il suffit de jeter un coup d’œil sur le Salon de cette année après celui de l’année dernière pour s’assurer du progrès accompli. Bien loin d’accuser notre pauvreté, c’est de notre abondance qu’il faudrait nous plaindre. Si les œuvres de style et de grande imagination font un peu défaut, nous sommes littéralement noyés sous un flot de peintures distinguées, fines, ingénieuses, pittoresques, qui dénotent, sinon beaucoup d’esprit d’invention, de hauteur dans les idées ou de profondeur dans le sentiment, du moins un véritable talent d’observation et une remarquable habileté de main. Cette invasion du tableautin de boudoir ou de chambre à coucher n’est pas le moins du monde un phénomène nouveau : elle est l’un des signes du temps où nous vivons ; elle répond à un besoin naturel de notre civilisation bourgeoise. Ce n’est pas à dire qu’il faille l’encourager outre mesure, et peut-être même la nouvelle administration des Beaux-Arts s’est-elle montrée trop indulgente pour un genre qui menace de tout envahir.


I

Il y a pourtant des tableaux de genre qu’on ne doit pas considérer comme des œuvres de fantaisie, et qui par leurs dimensions, par leur importance, par leur exécution magistrale, par la simplicité même du sujet qu’ils traitent, méritent d’être rangés parmi les œuvres de style. Qu’on nous pardonne de témoigner ici une certaine prédilection pour ces peintures sérieuses, qui ne font aucune place au charlatanisme, qui ne dissimulent aucun de leurs défauts, et qui, n’ayant aucun mélange de littérature, doivent être jugées pour ce qu’elles valent, et non pour ce qu’elles essaient d’exprimer. Avant d’aborder les grandes compositions où la figure humaine est mise en action et traitée par grandes masses, il est bon de reposer les yeux sur quelques fortes et saines peintures qui, par leur franchise