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en Crète pour que nous puissions nous reposer entièrement sur la docilité de ces troupes à suivre les instructions que Méhémet-Ali n’aura sans doute pas refusées à la sollicitation de notre consul. » Pour désintéresser la France, la Porte affectait en effet de distinguer soigneusement les populations qui suivaient le rit latin des rebelles appartenant à la religion orthodoxe. « Nous connaissons, disait au mois d’octobre 1823 le capitan-pacha, revenu de Patras, au capitaine de Rigny, la répugnance avec laquelle les catholiques coopèrent aux efforts de la Grèce insurgée. » L’intelligent et loyal capitaine ne s’était pas laissé prendre à cet artifice. « Khosrew lui offrait, écrivait-il au ministre, beaucoup plus que je ne lui demandais et que je n’ai voulu accepter. » Méhémet-Ali, plus empressé encore, se chargeait d’aplanir les difficultés qu’on avait éprouvées jusqu’alors pour la reconstruction de l’église du Mont-Carmel. « Désireux de faire quelque chose qui pût être agréable à la France, » il avançait sur son propre trésor au pacha d’Acre, Abdullah, les fonds nécessaires pour cet objet. La France fort heureusement sut résister à toutes ces séductions cauteleuses. Nous verrons bientôt son gouvernement en donner une preuve éclatante.

Du moment que l’invasion ottomane n’avait plus pour point de départ la Roumélie et l’Albanie, qu’il lui fallait traverser l’Archipel dans toute sa longueur avant d’arriver en Morée, le premier soin du vice-roi et du sultan devait être de prendre des mesures efficaces pour garantir aux troupes embarquées la sécurité du trajet. Tout transport séparé par quelque accident du gros de la flotte était à peu près certain d’être capturé, tant qu’on n’aurait pas réduit à l’obéissance les îles où se préparaient les arméniens ennemis. L’île de Caxos était particulièrement odieuse à Méhémet-Ali, car c’était de Caxos que partaient d’ordinaire les entreprises dirigées contre l’Égypte. Hussein-Bey reçut l’ordre de compléter la conquête de la Crète par l’enlèvement de ce nid de pirates. Trois frégates et dix corvettes choisies pour cette expédition partirent d’Alexandrie sous les ordres d’Ismaël-Gibraltar. Cet Ismaël était un marin hardi, entreprenant, digne en tout point de l’école à laquelle il s’était formé, — je veux parler de l’école des corsaires barbaresques. Le capitaine de Reverseaux l’avait vu en 1823 « parcourir audacieusement l’Archipel et défier les arméniens grecs avec une seule frégate. » La nouvelle entreprise dont on chargeait cet amiral égyptien exigeait de la résolution et de la promptitude. Par son aridité et sa côte de fer, Caxos ressemble beaucoup à Hydra. Les Grecs étaient parvenus à loger sur ce roc stérile 7,000 habitans, dans une de ses criques quinze bricks et quarante bateaux, qui depuis trois ans désolaient les côtes de Caramanie, de Syrie et d’Égypte. Les Caxiotes se montraient rarement dans les rangs de la flotte régulière. On les