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canton de Saint-Gall, les biens communaux sont très étendus. Sur les 236 alpes qui y existent et qui contiennent 24,472 stössen[1], 143 alpes avec 12,407 stössen appartiennent au domaine collectif. Les biens indivis des bourgeois de la ville même de Saint-Gall sont évalués 6,291,000 francs. Dans le canton de Schaffhausen, les biens communaux comprennent 28,140 juchart. Le territoire du canton n’étant que de 85,120 juchart, la propriété collective en occupe le tiers. La plus grande partie des forêts appartient aux usagers communaux, car sur 29,188 jurhart ils en possèdent 20,588. Dans les cantons d’Uri, de Zug et de Schwytz, les allmends sont également très étendues.


II

Nous essaierons maintenant de déterminer la nature juridique de ces communautés d’usagers à qui appartiennent les allmends ; mais il est très difficile de le faire en quelques mots, parce que les termes dont nous sommes habitués à nous servir sont empruntés au droit romain, à qui ce genre d’associations était inconnu. Elles ne correspondent exactement ni au dominium, ni au condomimum, ni à l’universitas des jurisconsultes latins. Les juristes, au moyen âge, ont d’abord refusé de s’en occuper ; ils ont essayé ensuite de les faire rentrer dans le cadre des lois du Digeste. Enfin après la renaissance, à mesure que l’influence de l’antiquité devenait plus prononcée, ils se sont montrés plus hostiles à ces institutions primitives qui avaient existé partout, mais qui avaient déjà disparu de l’empire quand le droit romain s’y constitua. En France, cette hostilité des juristes détruisit les communautés de famille des paysans bien avant la révolution française ; elle empêcha également les communautés d’usagers de se développer comme en Suisse, où elles avaient déjà échappé à l’action dissolvante de la féodalité. C’est ce qui explique qu’elles se sont conservées là dans leur intégrité, qu’elles y ont même suivi une évolution régulière successivement déterminée par des besoins nouveaux. Suivant un savant professeur à l’université de Baie, M. Andréas Heusler, l’association des usagers forme non une universitas, comme on l’entendait à Rome, mais une personne civile, un corps juridique, comme le droit germanique en a tant consacré. Elle n’est pas constituée par la réunion de droits individuels associés en vue d’un bénéfice à réaliser comme le sont nos sociétés commerciales. le corps en lui-même a une existence propre et un but distinct, qui est la prospérité

  1. Stoss ou Kuhessen est l’étendue indéterminée qui est nécessaire pour nourrir une vache pendant l’été.