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louent couramment sur le pied de 3 francs l’are. Sur les pâturages communs, chaque usager peut envoyer le bétail qu’il a entretenu l’hiver ; mais il paie une certaine rétribution par tête, sauf pour les chèvres, qui sont les vaches des pauvres et l’animal de prédilection du canton, auquel il fournit son fameux fromage, le schabzieger.

Il existe également ici beaucoup de corporations privées qui ont des terres. Dix, vingt, trente cultivateurs ont formé des associations qui possèdent des pâturages et des terres labourables[1]. Le produit de la propriété indivise se répartit entre les associés en proportion du nombre de parts que chacun d’eux possède. Dans le village de Schwändi, la commune ne peut distribuer à chaque famille que quelques toises de terre cultivable ; mais grâce à ces corporations-propriétaires chaque usager exploite en moyenne 12 ares de terre, et plusieurs en ont le double. Nous avons donc ici un type parfait de sociétés coopératives de production appliquées à l’agriculture, qui durent depuis des siècles, et qui contribuent à un haut degré au bien-être de ceux qui en font partie. Ce même esprit d’association a porté les habitans de Schwändi à établir une société coopérative de consommation, et il en existe maintenant dans la plupart des communes industrielles.

Il est remarquable de voir ici l’organisation agraire des temps les plus reculés se combiner avec les conditions de l’industrie moderne, et le droit de jouissance sur la marche commune améliorer le sort de l’ouvrier des grandes manufactures. Glaris n’est pas, comme Uri et Unterwalden, un canton uniquement pastoral ; c’est un des districts de l’Europe où l’industrie occupe relativement le plus de bras. Sur 30,000 habitans, 10,000 en vivent directement, et presque tous les autres indirectement. Or, grâce aux communaux, les travailleurs usagers obtiennent ici de plein droit et sans rétribution ce que les sociétés pour la construction de maisons ouvrières à Mulhouse procurent à leurs locataires pour de l’argent : la jouissance d’un jardin potager. Il y a en outre cette différence qu’à Mulhouse c’est un jardinet de quelques mètres carrés, et à Glaris un champ pour la culture des pommes de terre, les légumes et les fruits. Presque toutes les familles usagères peuvent entretenir une vache, tout au moins des chèvres ; elles ont leur maison et ne paient que peu ou point d’impôts. Les dépenses du service public sont couvertes par le revenu des propriétés particulières. L’école, l’église, le bureau de bienfaisance, ont des alpes, des bois, des terres, dont le produit suffit à leur entretien. Quelle différence entre le sort

  1. Dans le canton d’Appenzell, des paysans ont aussi récemment fondé deux sociétés pour acheter deux pâturages, la Wiederalp et le Fählen. Ils les exploitent en commun, et les actions de ces sociétés se maintiennent au-dessus du pair. Voyez Journal de statistique suisse, 1866, p. 53.