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nouveaux foyers, la vie aurait bientôt, avec la chaleur, disparu de la surface de la terre.

III

La Porte en 1824 eût été fort embarrassée de constituer de nouvelles armées. Les janissaires continuaient de répondre par la sédition et par l’incendie au moindre appel que le sultan ou les ulémas adressaient à leur zèle ; les gouverneurs de Scutari et de Janina réussissaient à peine à maintenir leur autorité dans leurs propres pachaliks ; les levées asiatiques ne fournissaient plus que des troupes découragées. Il ne restait donc au sultan, pour venir à bout de l’insurrection, qu’une ressource : il fallait qu’il se confiât sans réserve à son puissant vassal le vice-roi d’Égypte. Pendant que la Turquie s’épuisait en efforts toujours impuissans, Méhémet-Ali n’avait pas cessé un instant de poursuivre ses préparatifs militaires. Il avait voulu avoir des troupes instruites à l’européenne ; dès les premiers mois de l’année 1824, 15,000 réguliers attendaient au port d’Alexandrie l’ordre de s’embarquer ; 8,000 autres faisaient l’exercice au Caire. Le destructeur des mamelouks n’était pas homme à se laisser arrêter dans l’exécution de ses desseins par les résistances d’une opposition frondeuse. Le gouverneur de la citadelle du Caire, soupçonné de désapprouver l’introduction en Égypte du nizam-djedid, paya de la tête son attachement à la vieille tactique albanaise. Si peu novateurs que pussent être les Turcs qui entouraient encore Méhémet-Ali, ils comprirent sans peine la portée de ce terrible exemple ; à dater de ce jour, la fantaisie ne vint à aucun d’eux de contester la supériorité de la charge en douze temps. Le colonel Sève fut à la même époque introduit au sein de l’islamisme sous le nom de Soliman-Bey, et l’armée égyptienne eut en sa personne un des plus vaillans généraux qui aient jamais conduit des troupes de nouvelle formation au combat.

Avant de se résoudre à conférer à Méhémet-Ali le commandement suprême des forces de terre et de mer qui devaient agir contre la Morée, le sultan Mahmoud lui avait déjà confié le soin de soumettre la Crète. Au mois de juin 1822, le gendre du vice-roi d’Égypte, Hassan-Pacha, avait débarqué à la Sude 5,000 Albanais. Au mois de mars 1824, Hussein-Bey achevait la conquête de l’île. Dévastée par le fer et par le feu, la Crète faisait présager aux îles de l’Archipel et à la Morée le sort qui les attendait. Les catholiques et leurs protecteurs eux-mêmes commençaient à en éprouver quelque alarme. « Les Turcs, écrivait M. le comte de Beaurepaire au capitaine Drouault, ne savent pas toujours distinguer l’innocent du coupable. Le vice-roi a été trop contrarié de la conduite de ses soldats