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entre l’esprit de tradition et l’esprit de nivellement. Comme il. n’y a pas ici de loi générale sur cette matière, les résultats de cette lutte n’ont pas été partout les mêmes ; mais généralement on est arrivé à des transactions qui assurent certains droits aux simples habitans, aux Beisassen. Ainsi on leur donne dans la forêt le bois de chauffage, mais pas le bois de construction. Sur l’alpe, ils ne peuvent envoyer que le jeune bétail, parfois une ou deux vaches à lait, pas davantage. Pour l’allmend de la plaine, on leur accorde moins encore ; souvent ils en sont exclus ; parfois seulement ils prennent part au tirage au sort des lots de terre cultivée ou des jardins.

Nous avons peu de documens sur le mode primitif de jouissance des allmends. Quand la population était très peu nombreuse relativement au territoire dont elle disposait, il ne fallait pour ainsi dire point de règlement. Chacun coupait du bois dans la forêt suivant ses besoins et faisait paître sur l’alpe tout le bétail qu’il possédait. C’est seulement plus tard, quand le nombre des copartageans devint trop grand pour permettre un usage illimité, que des règlemens intervinrent, et ils ne firent que consacrer les anciennes coutumes. Ces règlemens sont devenus plus précis et plus sévères à mesure que les besoins de la communauté s’accroissaient. Il y a eu ainsi une certaine évolution juridique ; mais le fond du droit est resté le même, comme les alpes elles-mêmes et comme l’économie pastorale qui s’y exerce. L’allmend suisse nous offre donc encore aujourd’hui l’image de la vie primitive de nos ancêtres sur les plateaux de l’Iran.

Les plus anciens règlemens d’allmend qui aient été publiés remontent au XVe siècle. Chaque communauté possède une vieille armoire, un antique bahut où se conservent toutes les pièces qui se rapportent au domaine de la corporation. On y trouve, outre le règlement fondamental qui est pour ainsi dire la constitution de la société (Einung ou Genossenordnung), des jugemens qui ont décidé certain point contesté, des conventions avec les voisins, et les procès-verbaux des décisions importantes prises dans les assemblées ordinaires des mois de mai ou de décembre[1]. Ce respect des

  1. M. Heusler a publié dans son étude Die Rechtsverhäitnisse am Gemeinland in Unterwalden plusieurs de ces règlemens et décisions juridiques. Le premier, celui de Schwändi, est de 1471 ; l’Einung d’Alpnach porte la daté du 11 août 1498. Ils sont du temps. L’écriture sur parchemin en est très belle. L’Einung de Sachseln est de 1587. Celui de Kerns, daté d’avril 1629, n’est qu’une rédaction nouvelle. Le règlement de Giswyl est de 1705, et celui de Lungern de 1821. Chacun de ces documens caractérise bien les besoins de l’époque, et, considérés ensemble, ils montrent l’évolution juridique du droit dont le principe fondamental a toujours été respecté. M. Heusler publie encore d’autres pièces très curieuses, par exemple une décision des habitans de Buochs, concernant les Beisassen, qui remonte à 1399 ; des règlemens divers sur la jouissance des alpes, des forêts et des allmends de la plaine, conservés dans les villages de Sarnen, Giswyl, Stans, Wolfenschiessen, Büren, Beggenried, etc. Nous essayons d’en résumer l’esprit plus loin.