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locales. L’état n’intervient dans l’administration communale que pour préserver contre des dilapidations le patrimoine héréditaire de la commune, et pour empêcher la violation des lois générales. La part d’intervention du pouvoir central est un peu plus grande dans certains cantons, comme Fribourg, Genève et Berne ; dans d’autres, comme dans Appenzell et dans les Grisons, elle est presque réduite à rien. Là l’état n’est que la fédération des communes indépendantes qui ont précédé sa naissance et qui peuvent vivre sans lui. Le pouvoir central n’exerce aucun contrôle administratif sur les autorités locales ; c’est seulement quand une loi générale est violée qu’il peut intervenir. Il n’arrive aux citoyens que par l’intermédiaire des communes, et ce sont celles-ci qui votent les impôts et les lois dont l’établissement appartient au peuple en vertu de la constitution. Ici la décentralisation est trop grande. Le fédéralisme communal poussé à ce degré extrême enlève toute consistance à l’état et réduit la nation en poussière. Comme l’a montré Tocqueville, la supériorité de la constitution des États-Unis consiste en ce que, tout en respectant l’indépendance des états fédérés, le pouvoir central, pour les services qu’il s’est réservés, s’adresse directement aux citoyens par l’intermédiaire de ses agens propres qu’il nomme et rétribue.

Le régime républicain n’est si solidement assis en Suisse que parce qu’il a ses racines dans les moindres localités. Si depuis des siècles il garantit à la fois l’ordre et la liberté, c’est parce que, la plupart des intérêts publics se décidant à la commune, les changemens que les élections amènent dans la composition du gouvernement n’ont qu’une influence secondaire. Il est impossible de fonder la république, comme on l’a tenté en France, en maintenant une centralisation qui remet aux mains d’une assemblée ou d’un président le pouvoir de décider de tout. Jamais un pays civilisé ne supportera un régime qui, à chaque élection générale, à chaque renouvellement du pouvoir exécutif, remet en question toute l’organisation politique et sociale. Si l’on veut que tous les organes de la souveraineté nationale soient électifs, il faut nécessairement limiter leur compétence et restreindre les attributions du pouvoir central. Aux États-Unis comme en Suisse, c’est la commune, le township, qui est le foyer principal de la vie politique et administrative. C’est au township que s’administrent la plupart des intérêts collectifs. L’état est formé de la réunion de townships indépendans et autonomes, de même que les êtres animés sont constitués par l’agrégation d’un nombre immense de cellules associées, mais douées cependant chacune d’une activité propre.

Ce qui distingue la commune suisse de la commune américaine, et ce qui lui donne une importance bien plus grande, c’est qu’elle