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2 millions de francs. Les prêteurs anglais consentaient à verser plus de 7 millions, c’est-à-dire à peu près le revenu de quatre années, entre les mains d’une faction engagée dans la guerre civile. Faut-il s’étonner qu’une pareille confiance ait paru suspecte à un homme aussi prévenu contre l’Angleterre que l’était le commandant de la Galatée ?

Les mêmes ombrages se reproduisaient avec plus de vivacité encore à Constantinople. Peu initié aux franchises d’un peuple libre, le sultan Mahmoud trouvait fort étrange qu’un gouvernement allié tolérât vis-à-vis de ses sujets rebelles un appui aussi manifeste. Son mécontentement ne fit que s’accroître quand il apprit qu’un pair d’Angleterre était arrivé à Missolonghi et figurait ouvertement dans les rangs des insurgés. Le 5 janvier 1824, lord Byron, trompant la surveillance de la croisière turque, avait pris terre à Missolonghi. Le 19 avril de la même année, une foule émue assistait à ses obsèques. La Grèce porta le deuil de cet étranger qui, vieux à trente-six ans, mécontent de lui-même, désabusé des autres, était venu chercher, sur un territoire voué aux luttes héroïques, « la tombe d’un soldat, » et n’y avait, par une amère ironie du sort, rencontré que la fièvre. « Dans ce panier à vase, il y avait, suivant l’expression de Byron lui-même, moins de chance de finir par une balle que par la quinine. » Des déceptions de tout genre contribuèrent à enflammer le sang ardent du poète. Missolonghi présentait alors un triste spectacle. Tous les chefs sauvages de la montagne y étaient accourus avec leur troupe. Mavrocordato y avait amené 5,000 hommes, qu’il ne trouvait ni le moyen de nourrir, ni le moyen de payer. La plage était encombrée de marins déserteurs, la ville remplie de clameurs et de meurtres, et pendant ce temps « les barons allemands, les volontaires anglais, les idéologues qui voulaient avant tout faire fleurir sur ce sol nouveau la liberté de la presse, » ne manquaient pas une occasion de se quereller. N’était-ce pas là cependant ce que Childe-Harold devait s’attendre à trouver à Missolonghi ? Quiconque avait visité la Grèce, courbée sous le joug des Turcs, ne pouvait penser qu’une pareille domination y eût formé « des hommes de Plutarque. » Lord Byron se jeta donc tête baissée et de gaîté de cœur au milieu des intrigues, des folies, des désordres qui allaient fatiguer, jusqu’à les briser, les ressorts de son âme. Sa résolution ne fut pas celle d’un esprit qui a conservé son sang-froid ; on la dirait prise au sortir d’un banquet, sous l’influence des fumées d’un vin capiteux. Ce fut, pour emprunter le langage sarcastique du poète, « un moment d’intoxication ; » mais cette intoxication lui inspira le plus noble et le plus généreux mouvement de sa vie. Gardons-nous de railler les enthousiasmes qui ont échauffé notre jeunesse ! Si, pour remplacer ces soleils éteints, le ciel ne se hâtait d’allumer de