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absolu remontait aux temps les plus reculés, et s’est transmis sans interruption jusqu’à nos jours. Les peuples ont débuté non point par la royauté patriarcale, comme on l’a dit souvent en ne considérant que la Grèce héroïque, mais bien plutôt par des institutions républicaines. Mme de Staël avait raison ; c’est la liberté qui est ancienne, le despotisme qui est récent.

Le gouvernement direct, que Rousseau considérait déjà comme impossible, peut durer dans les cantons primitifs, d’abord parce que leur territoire est très petit, et ensuite parce que la besogne législative est réduite à très peu de chose. La plupart des affaires sont réglées au sein de la commune. Les relations avec les états étrangers sont du ressort de la confédération. La vie est simple, et la coutume exerce encore un grand empire. Il n’y a donc que peu de lois à faire. Le landamman les présente à l’assemblée. Tout citoyen a le droit d’initiative et d’amendement. Les discussions sont parfois très animées, violentes même ; mais on réclame bientôt le vote parce que chacun est pressé de retourner chez soi. On échappe ainsi à ce fléau particulier des états à régime représentatif, le parlementarisme. Presque partout les assemblées délibérantes demeurent trop longtemps réunies : elles irritent, elles fatiguent le pays ; tantôt elles lui communiquent les passions qui l’animent, et tantôt elles provoquent un mouvement extrême dans un sens opposé quand elles ont cessé de représenter l’opinion publique. Lorsque les assemblées sont en vacances, le pays est tranquille ; il s’occupe de ses affaires, d’art, de littérature, d’industrie, de commerce.

A peine les délibérations parlementaires ont-elles recommencé que tout est remis en question ; les partis exaspérés sont aux prises ; le gouvernement, obligé de consacrer toutes ses forces à se défendre contre ses adversaires, ne trouve guère le temps de s’occuper des intérêts généraux. La nation se passionne pour des luttes oratoires dont un portefeuille est le prix. Le régime parlementaire dégénère ainsi en luttes d’intrigues dans les chambres et en luttes d’influences souvent corruptrices dans les élections. En Amérique, en Allemagne, en Angleterre même, on s’est préservé de l’abus du parlementarisme, qui en France et en Italie est devenu une véritable cause de désordre. Le meilleur moyen d’y échapper est de réduire les attributions du pouvoir central en étendant celles des pouvoirs locaux, c’est-à-dire celles de la province et de la commune.

En Suisse, les communes jouissent d’une autonomie presque complète. Elles font non-seulement leurs règlemens, mais leur constitution même, en tant qu’elle n’est pas contraire aux lois de l’état. Elles administrent d’une façon indépendante ce qui concerne l’école, l’église, la police, la viabilité, le soin des pauvres ; elles nomment librement tous leurs fonctionnaires ; elles fixent leurs impositions