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Aujourd’hui l’individu est perdu au sein de la nation, idée abstraite, qui ne se réalise pour la plupart d’entre nous que sous la forme du percepteur, qui réclame l’impôt, et de la conscription, qui impose le service militaire. La commune, ayant perdu toute autonomie locale, n’est plus qu’un rouage administratif obéissant au pouvoir central. La propriété communale a été presque partout vendue ou réduite. L’homme, qui vient au monde avec des besoins à satisfaire et des bras pour travailler, ne peut réclamer aucune portion du sol pour exercer son activité. Plus de corporations industrielles : les sociétés anonymes qui en tiennent lieu ne sont qu’un moyen d’associer des capitaux et non des hommes. La religion, ce lien puissant des âmes, a perdu la plus grande partie de son action fraternelle, et la famille, fortement ébranlée, n’est plus souvent que l’organisation de la succession. L’homme est un être sociable, et l’on a détruit ou affaibli les institutions où la sociabilité prenait corps et donnait une base solide à l’état. On essaie aujourd’hui de parer à la lacune faite par la centralisation de l’ancien régime et par la révolution, en fondant des associations de métier, des trade’s unions, des sociétés coopératives ; mais il manque le sentiment fraternel et religieux, la tradition, un principe juridique, et trop souvent ce ne sont là que des associations de combat pour lutter contre les capitalistes. Au risque de passer pour « réactionnaire, » je n’hésite pas à dire qu’il existait autrefois deux institutions qu’il aurait fallu conserver et améliorer pour y asseoir la démocratie moderne : l’autonomie communale et la propriété communale. Les politiques ont travaillé à réduire la première, et les économistes à faire disparaître la seconde, faute énorme qui empêchera partout l’établissement de la république, à moins qu’on n’y porte remède. S’il est un pays où ces institutions ont été conservées et où en même temps la liberté, l’égalité, l’ordre, se maintiennent depuis des siècles, on est amené à croire que ces faits se tiennent par un rapport de cause à effet, et il peut être utile d’étudier à quelles conditions ce pays a joui de ces rares bienfaits. Chose digne de remarque, ces institutions ont été celles de tous les peuples à l’origine ; mais presque partout elles ont été ou anéanties où profondément altérées avec le temps. En France, la féodalité les avait déprimées, mais sans les détruire : c’est le despotisme des rois et plus tard la passion de l’uniformité lors de la révolution française qui leur a porté le coup mortel. En Russie, la commune s’était maintenue, quoique la noblesse, en se constituant au XVIe siècle, lui eût enlevé la moitié de ses propriétés et eût réduit les habitans en servage. En Angleterre, par un étonnant contraste, tandis que les villes conservaient toutes leurs libertés et trouvaient un organe dans la chambre des communes, la commune