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de la Suisse, où les institutions les plus démocratiques qu’on puisse concevoir assurent depuis les temps les plus reculés aux populations qui en jouissent la liberté, l’égalité, l’ordre, et autant de bonheur qu’en comporte la destinée humaine[1]. J’attribue cette chance exceptionnelle à ce fait, que l’on a conservé ici les anciennes institutions communales, y compris la propriété communale primitive. La révolution française a commis la faute, chaque jour plus apparente, de vouloir fonder la démocratie en brisant les institutions qui seules la rendent viables. Elle a posé l’homme abstrait, l’individu isolé, et lui a reconnu théoriquement tous les droits naturels, mais en même temps elle a anéanti tout ce qui le rattachait aux générations précédentes et à ses concitoyens actuels : la province avec ses libertés traditionnelles, la commune avec ses propriétés indivises, les métiers et les corporations qui reliaient par un lien fraternel les ouvriers du même métier. Ces associations, extensions naturelles de la famille, abritaient l’individu : elles étaient parfois une entrave, mais elles étaient aussi un appui ; elles l’enchaînaient, mais le soutenaient ; c’était comme l’alvéole où se mouvait la vie individuelle. Dans les jours d’adversité, c’était un secours assuré, en temps ordinaire une surveillance qui retenait l’homme dans la bonne voie, une force pour la défense des droits attaqués, une tradition pour les générations nouvelles. Le présent était rattaché au passé par les privilèges et les biens qu’il en recevait.

  1. J’ai eu infiniment de peine à réunir quelques élémens bibliographiques pour cette étude. J’ai visité l’été dernier (1872) les villages de l’Oberland bernois et ceux des bords du lac des Quatre-Cantons ; mais, les usages étant partout différens, cela ne suffisait pas pour arriver à une vue d’ensemble du sujet. Quelques publications faites en Suisse m’y ont aidé. Ni en Angleterre, ni en France, ni en Allemagne, je n’ai rien trouvé qui y eût rapport. Maurer et Roscher, si complets sur tout ce qui concerne les anciennes coutumes agraires, ne disent presque rien des Allmenden suisses. M. Nasse, professeur à Bonn, qui est très bien renseigné sur cette matière, croit que les économistes allemands ne s’en sont pas spécialement occupés. Pour la Suisse, ni M. Dameth, ni M. Max Wirth, l’éminent directeur du bureau de statistique de Berne, n’ont pu me fournir aucun renseignement. Voici les principales sources où j’ai puisé : 1° une collection des règlemens des Allmenden du canton de Schwytz, que le dois à l’extrême obligeance du chancelier M. Kothing ; — 2° une étude approfondie sur la propriété communale dans l’Unterwald, Die Rechtsverhältnisse am Gemeinland in Unterwalden, par M. Andréas Heusler, professeur de droit à Bâle ; — 3° une brochure remplie de vues originales et justes, par le docteur B. Becker, pasteur à Linthal, dans le canton de Glaris, Die Allmeinde, das Grundstück zur Lösung der socialen Frage ; — 4° une étude du professeur de Wyss, Die Schweizerische Landsgemeinden, dans la Zeitschrift für Schweiz. Recht, I Bd ; — 5° le livre de Snell, Bandbuch des Schweiz. Staatsrechts, Zurich 1844 ; — 6° Das Landbuch von Schwyz, herausgegeben von Kothing, Zurich 1850 ; — 7° Das Landbuch oder Sammlung der Gesetze des cantons Uri-Flüelen, 1823 ; — 8° des renseignemens particuliers dus à l’obligeance du professeur König, de Berne, et de M. Schenk, chef du département fédéral de l’intérieur.