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passage secret ? Pour quiconque connaît la ténacité du caractère britannique, il n’y a guère lieu de douter que ce projet de tunnel entre Douvres et Calais ne s’exécute tôt ou tard.

Ne nous berçons point d’illusions. Une voie ferrée de plus ou de moins, passât-elle sous la mer, ne modifiera pas beaucoup nos rapports avec la Grande-Bretagne. On s’est trop hâté de croire que les chemins de fer, la navigation à vapeur, les fils électriques, amèneraient sur la terre la paix universelle. Hélas ! est-il besoin de rappeler à quel point ces généreuses espérances ont été trompées ! Ce ne sont point les liens de la matière qui rapprochent vraiment les peuples ; ce sont les idées, l’étude des lois de la nature et la diffusion des lumières. Sans doute de grands ouvrages entrepris en commun peuvent raffermir les bonnes relations entre des nations voisines ; mais, pour former des alliances indissolubles, ne comptons que sur la force morale. Certes le champ des découvertes n’est point épuisé, et tous les états de l’Europe sont appelés à y prendre leur part. Il s’en faut de beaucoup que l’océan, l’atmosphère, l’intérieur du globe terrestre, nous aient livré tous leurs secrets ; nous ne sommes qu’au début, et déjà les connaissances acquises forment en quelque sorte l’arsenal de la civilisation moderne. De telles armes, qui servent à étendre la puissance de l’homme sur la nature, sont à l’abri des hasards de la guerre. Il est à désirer que la France, d’accord avec l’Angleterre, la Suède, la Norvège, les États-Unis d’Amérique, s’avance bravement dans cette voie de conquêtes réelles et durables. L’utilité de pareilles recherches échappe, il est vrai, à beaucoup de monde. Que nous veulent ces explorateurs des mers, ces sombres fureteurs de l’abîme ? La sonde et la drague résoudront-elles à la Bourse le problème de la hausse ou de la baisse ? Étrangers aux grossiers appétits de la matière, aux trompeuses amorces de la fortune aléatoire, les savans poursuivent, quoi qu’on en dise, de nobles et utiles entreprises. L’homme s’élève et se fortifie dans la recherche du vrai, dans la lutte avec l’inconnu. La méthode, l’observation, l’expérience, ne s’appliquent pas seulement au monde physique ; en politique et en économie sociale, elles servent aussi à dévoiler bien des erreurs et à dissiper des chimères. Il y a deux sources auxquelles les nations puisent les élémens nécessaires pour accroître leur prospérité ou pour réparer leurs malheurs : ce sont la science et le travail. Apprenons et travaillons. Où trouver ailleurs que dans les richesses de l’esprit la véritable grandeur d’un pays ? et, tant qu’un état possède ces trésors impérissables, il n’a point perdu son rang dans le monde.


ALPHONSE ESQUIROS.