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partirait de Saint-Margaret’s-Bay, 5 kilomètres à l’est de Douvres, et se dirigerait vers Sungat, qui se trouve à 4 ou 5 kilomètres ouest de Calais. Le trajet durerait une demi-heure. Cène sont pas seulement les voyageurs qui traverseraient ainsi sous terre la largeur du canal, ce sont aussi les longs et lourds trains de marchandises. À un tel bruit, à un tel ébranlement succéderaient bientôt comme dans les mines le glacial silence des voûtes, l’immobilité des masses noires. Quelques personnes sont libres de se demander si ce morne voyage dans les entrailles du sous-sol ne serait point pire que le mal de mer ; il faut pourtant dire que le Metropolitan railway a été creusé à Londres d’après un pareil système. Il ne passe pas sous les eaux de l’océan, c’est vrai ; mais il serpente sous le flux et le reflux des voitures, sous le styx des égouts, sous les tuyaux de gaz, sous le réseau des fils électriques, sous les maisons qui surplombent. Nul toutefois n’hésite à s’engloutir pour une demi-heure ou trois quarts d’heure dans cette voie ténébreuse, sachant bien qu’il reverra la lumière. Rien d’ailleurs n’empêcherait d’éclairer le tunnel du détroit ; mais comment faire respirer ce long boyau ? On se propose d’établir un système de ventilation au moyen de machines pneumatiques, lesquelles pomperaient l’air vicié par une ouverture du tunnel et forceraient l’air frais à entrer par l’autre. Les travaux du percement demanderaient à peu près cinq ou six années. On cherche maintenant à recueillir des fonds pour ouvrir un puits (shaft) sur la côte anglaise et pousser en manière d’essai un chemin étroit à un ou deux milles sous le channel. Si hardie que soit l’entreprise, les bras ne lui manqueront point. Pour ces ouvrages de géans ou de fourmis, on trouve des hommes qui ont le secret de vivre sans lumière, presque sans air, enfouis dans des fosses plus bas que les morts qui dorment au fond du détroit. La dépense. totale du tunnel, en comptant les travaux de raccordement avec les chemins de fer français et anglais de Calais et de Douvres, s’élèverait à la somme de 250 millions de francs. C’est beaucoup d’argent, mais quelle est l’entreprise raisonnable et utile qui ait échoué dans la Grande-Bretagne faute d’actionnaires ? Un comité formé d’Anglais et de Français s’occupe en ce moment d’intéresser le gouvernement de l’un et l’autre pays au succès d’une œuvre internationale. La prudence lui conseille d’abord de percer d’outre en outre la masse de craie, puis, une fois cette première victoire obtenue, d’élargir la voie et de construire le tunnel qui, comme tous les autres ouvrages de ce genre chez nos voisins, sera revêtu à l’intérieur d’un manteau de briques. Jusqu’ici l’Angleterre était gardée par l’océan comme le Prométhée de la fable : trouvera-t-elle le moyen de tromper son geôlier en lui dérobant la clé d’un