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côté une continuité de bancs de craie qui renfermeraient une extraordinaire abondance d’éponges, une grande variété d’animaux, dont plusieurs appartiennent aux contrées chaudes ou tempérées, ne serait-il point tenté de croire à deux âges distincts de la nature ? Eh bien ! ces dépôts si différens, loin d’annoncer deux époques géologiques divisées par un intervalle de siècles, indiqueraient au contraire deux climats contemporains, mais dissemblables, qui ne sont souvent séparés l’un de l’autre que par une distance de quelques milles. Il a suffi pour établir ce contraste qu’une zone de la mer fût traversée par un courant polaire, tandis que l’autre l’était par un courant équatorial[1].

Quiconque s’est un peu occupé de géologie jugera des services rendus à la science par les expéditions de l’Eclair et du Porc-Epic ; mais le docteur Carpenter et le professeur Wyville Thomson ont appelé l’attention sur un autre ordre de faits. Quelles sont les sources d’alimentation pour cette masse de vie animale qui couvre les abîmes de l’océan ? En ce qui regarde les échinodermes, les mollusques, les crustacés, la question est bien vite résolue ; ils se mangent les uns les autres, ou ils se nourrissent de zoophytes, de rhizopodes, parmi lesquels ils chassent. Quand on songe que le fond de la mer est un magasin de provisions sans cesse renaissantes, on est aisément rassuré sur leur sort. En est-il de même pour les protozoaires, c’est-à-dire pour la population inférieure, mais en même temps la plus nombreuse des grandes eaux ? On a dit que les protozoaires (rhizopodes, éponges) se nourrissent de menues plantes qui croissent ordinairement à la surface ou près de la surface des ondes salées ; les fragmens de ces végétaux ne peuvent-ils point, en tombant dans l’abîme, fournir aux petits animaux qui habitent les bas-fonds de l’océan les alimens dont ils ont besoin pour subsister ? Cette hypothèse ne se trouve point du tout confirmée par les observations des deux savans anglais qui ont exploré les mers du nord et du midi. Un examen attentif leur a bien démontré l’existence d’une telle végétation microscopique, mais il leur a paru très douteux qu’elle se produisît en quantité suffisante pour satisfaire aux besoins de l’innombrable multitude qui habite le fond de l’abîme. Selon le langage de l’économie politique, l’offre ne serait point en rapport avec la demande ; donc il y aurait disette sur le marché[2]

  1. . Deux dépôts très tranchés peuvent se former dans le voisinage l’un de l’autre, à la même profondeur et dans le même horizon géologique. La surface de l’un peut même entreprendre sur celle de l’autre, la pénétrer en quelque sorte, quoique le caractère minéralogique des deux couches et la nature de la faune ne se ressemblent point du tout.
  2. Les explorateurs ont recherché avec un soin minutieux les élémens dont se compose la boue globigérineuse ; ils n’ont pu y découvrir qu’un très petit nombre d’enveloppes siliceuses de diatomes ou de protophytes (végétaux unicellulaires). Leur avis est que ces spécimens se seraient au contraire rencontrés en abondance, s’ils constituaient en vérité le principal aliment de la population sous-marine.