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déplacemens de climats, les mouvemens de la croûte terrestre, et de passer ainsi d’une époque à une autre époque de la nature. Malgré des différences organiques, elles conservent assez de traits de famille pour qu’on puisse les rattacher sans crainte aux anciens groupes éteints. Combien de telles découvertes ont étendu l’horizon de la vie !

Les trois expéditions de l’Éclair et du Porc-Épic auront en outre l’avantage de mettre la science en garde contre certaines erreurs. Les géologues ont longtemps attribué l’absence de restes organiques, ou tout au moins la rareté des fossiles dans quelques roches sédimentaires non métamorphosées, à la profondeur du lit de la mer sur lequel les matériaux de ces roches avaient été déposés. Il faut aujourd’hui renoncer à une telle explication. Les eaux les plus profondes sont souvent très riches et très fertiles en espèces animales, tandis que d’autres, où la sonde ne descend qu’à une soixantaine de brasses, peuvent être très peu habitées ou même ne trahir aucune trace de vie, si la température est basse et si les courans qui les traversent sont vigoureux. Ce sont les phénomènes modernes qui, comparés aux phénomènes anciens, peuvent seuls éclairer l’histoire de la formation de notre globe. Le géologue qui se contente d’interroger les terrains, d’analyser les roches, s’expose aux mêmes illusions que le physiologiste qui se bornerait à disséquer le cadavre. En veut-on un autre exemple ? Dans le profond channel qui s’étend entre le nord de l’Ecosse et les îles Féroe, existent, l’un à côté de l’autre, deux climats sous-marins très différens et très fertiles en contrastes : c’est l’hiver et l’été. Deux courans opposés, le premier descendant du nord ou du nord-est, le second venant du sud ou du sud-ouest, tracent en quelque sorte les limites de la région froide et de la région chaude. Chacune de ces provinces d’eau a sa population locale, distincte, pour ainsi dire indigène[1]. Qu’on suppose maintenant le lit de ces mers soulevé par quelque action volcanique, les dépôts qui se forment de jour en jour sous la masse ténébreuse des ondes apparaissant à la lumière, et qu’un géologue futur vienne à examiner ces couches solidifiées en terrains secs, quel serait son jugement ? Voyant d’un côté un lit de grès stérile dans lequel il ne rencontrerait qu’une faune rare et pauvre, empreinte d’un caractère plus ou moins boréal, découvrant d’un autre

  1. Généralement les habitans d’un district ne se rencontrent point dans un autre ; mais, s’il s’en montre quelques-uns, c’est à la condition de subir l’influence du milieu. Les types caractéristiques par exemple qui appartiennent au groupe méridional des échinodermes sont absens des eaux froides, ou s’y font remarquer par la diminution de la taille : ce sont les nains, les lilliputiens de l’espèce. Au contraire, dans cette même zone certains mollusques, étant bien chez eux, atteignent des proportions considérables.