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de calcaire composé de nombreux petits grains ovoïdes semblables à des œufs de poisson) ou dans les terrains tertiaires[1]. Qu’on ne parle donc plus d’émissions subites d’êtres nouveaux remplaçant les anciens et devant être sacrifiés à leur tour ! La nature ne procède point ainsi par soubresauts ou par coups de théâtre : elle n’interrompt ni ne recommence son œuvre ; elle la continue.

Le grand intérêt de ces recherches est à notre avis dans les données nouvelles qu’elles fournissent sur la formation des continens. Ce qui se passe aujourd’hui au fond des puissantes masses d’eau est la suite des très anciennes opérations de la nature. L’océan n’a jamais cessé d’être l’architecte en chef de notre planète ; avec les dépouilles des morts, il pose au bas de ses abîmes le fondement des hautes montagnes. Toutefois ce n’est point sur le squelette des gros animaux qu’il compte pour lui fournir les matériaux de ses constructions. L’espace occupé par les débris des êtres organisés est en sens inverse de leur taille : ce sont les infiniment petits qui remplissent l’infiniment grand. Que l’on compare le cimetière océanique dans lequel reposent les os de la baleine à ces bancs de corail formés par les zoophytes ou aux couches déposées par des animaux plus ou moins imperceptibles à l’œil nu, et qu’on dise lesquels tiennent le plus de place dans l’immensité des mers. Ne méprisons point les humbles, ils ont pour eux la force de la multiplicité. Le lit des profondes eaux regorge de richesses inépuisables ; ce qu’on prenait pour le tombeau de la vie en est au contraire le berceau[2]. Il existe au fond de l’Atlantique du nord une vaste couche de boue calcaire composée en partie de matières désagrégées ayant apparu tenu aux coquilles de nombreux mollusques dont les générations ont succédé aux générations, dont les débris se sont entassés sur des débris. Si dans quelques endroits on rencontre la solitude, cette circonstance assez rare tient à la température des eaux ou à la violence des courans, jamais à la profondeur. D’un autre côté, les explorateurs des mers sont souvent trahis par le hasard ou par l’insuffisance des instrumens. Lors du voyage de l’Eclair, les savans anglais avaient sans aucun succès jeté la drague dans tel ou tel parage situé entre les îles britanniques et les îles Féroe. Étaient-ce des régions vides, stériles, inhabitées ? A la seconde expédition,

  1. On a péché parmi les échinodermes le petit rhizocrinus, allié à une famille qui florissait durant la période oolithique, et dont on supposait que le bourgettierinus de la craie était le dernier représentant. Ce rhizocrinus vivant présente avec l’animal éteint plusieurs traits de ressemblance.
  2. Le nombre complet d’espèces de mollusques marins énumérés par M. Gwyn Jeffreys dans sa British Conchology est de 451 ; à ce catalogue de la conchyliologie britannique, l’expédition du Porc-Épic n’a pas ajouté moins de 117 espèces nouvelles, — plus d’un quart. Parmi elles, 56 avaient échappé jusqu’ici à toute description ; 7 étaient supposées éteintes et rangées parmi les fossiles de la période tertiaire.