Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 105.djvu/579

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et des régions boréales. Voyageant en Norvège, il avait eu l’occasion d’examiner quelques-uns des résultats obtenus par les dragages de M. Sars[1]. Les échantillons recueillis démentaient l’opinion d’Edward Forbes et de beaucoup d’autres savans qui croyaient que le néant de la vie animale commençait à quelques centaines de brasses au-dessous de la surface des eaux. De retour à Belfast, le professeur Wyville Thomson écrivit à son ami, le docteur W. Carpenter, lui représentant de quel intérêt serait pour la science une série de recherches dans les grandes profondeurs de l’océan. Vice-président de la Société royale, archiviste de l’université de Londres, le docteur Carpenter contribue depuis longtemps par son influence, ses écrits et ses travaux, à élever le niveau des études scientifiques en Angleterre[2]. Physiologiste éminent, il s’est beaucoup occupé de ces êtres douteux et indéterminés, les rhizopodes, les foraminifères, situés aux limites extrêmes de la vie, si tant est que la vie ait des limites. Où commence-t-elle ? où finit-elle ? Nul ne le peut dire. Toujours est-il que ces petits êtres, qui changent de formes comme le Protée de la mythologie, habitent en quantités innombrables le fond des mers. Par l’ensemble de ses recherches et de ses vastes connaissances, le docteur W. Carpenter était donc admirablement préparé pour une expédition dont le principal objet était de déterminer avec soin les conditions et la distribution de la vie animale dans les abîmes de l’océan. Les deux savans tombèrent aisément d’accord sur les moyens d’exécution ; mais ils reconnurent en même temps l’un et l’autre qu’une telle entreprise excédait la portée des ressources personnelles. Aussi fut-il convenu qu’on s’adresserait à la Société royale pour lui demander aide et assistance.

Le conseil de cette libérale institution comprit tout de suite les avantages que la science pourrait retirer de recherches faites sous les ordres de deux savans naturalistes à des profondeurs qui n’avaient point encore été atteintes par la drague. Une somme de 100 livres sterling (2,500 fr.) fut avancée sur la caisse de secours (donation fund) pour subvenir aux premières dépenses. Le conseil de la Société royale fit en outre écrire par son secrétaire une lettre aux lords de l’amirauté, leur demandant de mettre un vaisseau de l’état à la disposition du docteur W. Carpenter et du professeur Wyville Thomson. La réponse fut favorable. Certes la

  1. Il y a deux MM. Sars, le père et le fils. L’un est un professeur célèbre ; l’autre, inspecteur des pêcheries du gouvernement suédois, est celui qui venait d’explorer les côtes de la Norvège.
  2. Ses principaux ouvrages sont : Principes de la physiologie humaine, — Manuel de physiologie, — Le Microscope et ses révélations, — Introduction à l’étude des foraminifères. En 1801, le conseil de la Société royale lui décerna la grande médaille d’or.