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I

Chez nos voisins, l’état n’intervient point directement dans les secours et les encouragemens accordés aux beaux-arts ou à la science : il se repose de ce soin délicat sur des institutions fondées par l’initiative personnelle, et dont la plus importante est sans contredit la Société royale (Royal Society). Cette académie, qu’on a souvent comparée à notre Académie des Sciences, sans tenir assez compte des différences qui les distinguent, surgit autrefois d’une réunion privée. Un groupe de savans vers l’année 1600 se rassemblait chez le docteur Wilkins, un ministre protestant qui avait épousé la sœur de Gromwell et devint plus tard évêque de Chester. Selon les circonstances, ces séances à huis-clos avaient lieu tantôt à Oxford, tantôt à Londres, quelquefois dans la taverne de la Tête-de-Bœuf (Bull’s Head-Tavern). La conversation roulait sur la philosophie naturelle, sur les découvertes de la physique et de la géométrie. Tous les hommes éminens de ce temps-là Evelyn, Hooke, Cowley, Wilkins, formèrent ainsi une société à laquelle le célèbre Boyle donna le nom de Collège invisible. C’était en effet une sorte de conseil des dix appliqué aux intérêts de la science. Il faut se souvenir que l’Angleterre était alors fort troublée par les événemens politiques. Des hommes étrangers aux affaires du gouvernement qui cultivaient la science pour la science devaient nécessairement trouver dans ces conversations intimes un grand charme et une diversion aux horreurs de la guerre civile. Le collège de Gresham (Gresham college), où ils se réunissaient depuis quelque temps, leur fut enlevé pour faire place aux soldats qui se logèrent dans les bâtimens. Sprat, l’un des affiliés, eut la curiosité de visiter alore ce sanctuaire de la science transformé en caserne, et nous a laissé dans une page émue la trace de ses impressions. Qu’on se figure la tristesse du bon docteur à la vue des scènes grossières qui succédaient dans le même édifice aux paisibles recherches de l’esprit. En 1660, le collège fut rendu aux savans, et quarante et un noms s’inscrivirent sur la liste des associés. Telle fut l’obscure origine d’une institution qui certes ne manque point d’éclat, et dont le développement est désormais lié en Angleterre au progrès des connaissances humaines.

Après la restauration, les membres demandèrent à se constituer sous le nom de Société royale, Charles II leur octroya ce privilège, mais c’est tout ce qu’ils purent obtenir du monarque. Selon Leigh Hunt, c’était encore trop : dans ce pays d’initiative personnelle, on croyait à tort ou à raison que les corps savans patronnés par l’autorité royale étaient plutôt faits pour limiter que pour étendre les