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Il semble que la mer ait pris ses précautions contre la curiosité de l’homme. Pour déjouer les recherches et les indiscrétions de la science, elle a ses puits d’ombre, ses gouffres, ses tempêtes, l’impénétrable masse des flots pesant sur les flots, des abîmes s’étendant sous des abîmes ; elle a enfoui son secret dans les régions du silence et de la nuit. Aussi les peuples navigateurs, depuis l’origine des temps historiques, se contentaient-ils de frayer leur route à la surface des vagues, sans approfondir la configuration des grands bassins océaniques et les merveilles qui s’y cachent. Interroger les vents, signaler les écueils, intéresser la voûte céleste au succès des expéditions lointaines, telle était la véritable industrie du matelot. Sans doute il eût été curieux de savoir ce qui se passait sous ces lames labourées par la proue du vaisseau, que la mouette effleure de son aile, que couvrent les frémissemens de la lumière sidérale, sur lesquelles, depuis l’invention des steam-boats, se dénouent les longs anneaux de vapeur : ce n’était point le désir de connaître qui lui manquait ; c’était le moyen pratique pour atteindre les mystères de l’abîme. Cependant la science ne se déclarait point vaincue : au-delà des profondeurs qui défient l’œil du plongeur le plus exercé, la portée des plus vastes filets, n’y avait-il point tout un monde inconnu, et pourquoi ce monde échapperait-il aux puissans engins de l’industrie moderne ? Quand on songe que la plus grande partie de notre globe est couverte par la mer, que le champ des vastes ondes est en même temps le plus ancien et le plus fécond laboratoire de la vie animale, il est facile de comprendre l’intérêt qui s’attache aux recherches de la science dans les obscures régions de l’océan.

Jusqu’au jour où commencèrent les sondages profonds, le lit de la mer était aussi inconnu que pouvait l’être avant la découverte du télescope le noyau d’une des planètes appartenant à notre système astronomique. Par le télescope, l’homme ajouta des yeux à ses yeux, — par la sonde, une main à ses organes naturels du toucher. Cette main de plomb fouille les profondeurs de l’onde ; en vertu des lois de la gravitation, elle descend, descend toujours jusqu’à ce qu’elle ait rencontré ce qu’elle cherche, et prolonge ainsi à une énorme distance la faculté du tact dans des régions que l’homme ne peut atteindre. Nous sommes vis-à-vis des gouffres océaniques dans la position des aveugles-nés : il est très probable que l’homme ne verra jamais le lit des grandes eaux ; c’est uniquement par l’un de nos sens, dont nous avons trouvé le moyen d’exagérer artificiellement la portée, que nous arrivons à nous mettre en communication avec le fond des mers. Ces puissans sondages avaient été pratiqués depuis quelques années avec succès par les navigateurs du Nouveau-Monde. De telles expériences, renouvelées