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disait Cicéron dans une phrase qui semble chrétienne, c’est alors qu’on éprouve plus que jamais le remords de ses fautes, tum peccatorum maxime pœnitet. » Il est probable que la religion intervenait quelquefois pour calmer les consciences inquiètes. Un bas-relief du Louvre nous montre auprès du lit d’une femme qui vient d’expirer, et à côté de sa famille qui pleure, des prêtres et l’appareil d’un sacrifice. Les mystères, aussi avaient essayé de rassurer les âmes qu’effrayait ce grand inconnu : ils donnaient aux initiés le spectacle de la vie future, ils leur annonçaient qu’après leur mort ils jouiraient de cette félicité qu’on leur avait fait entrevoir, « et qu’ils passeraient l’éternité avec les dieux ; » mais ce furent surtout les charlatans réunis à Rome de toutes les contrées du monde, magiciens et devins de toute sorte, prêtres de toutes religions, qui surent tirer un grand profit des terreurs que causaient les enfers. Comme on pensait que, selon le mot de Platon, « c’est le plus grand des malheurs de descendre dans l’autre monde avec une âme criminelle, » ils se chargeaient de fournir aux coupables des purifications qui effaçaient leurs fautes ; ils leur promettaient qu’une fois purifiés « ils seraient rangés, après la vie, parmi ceux qui conservent le souffle, le regard, la parole, et qui passent le temps à danser et à se réjouir dans la demeure d’Hadès. » Ils vendaient des prières dont l’effet était infaillible, qui devaient désarmer les puissances infernales et les empêcher de s’opposer au passage de l’âme lorsqu’elle s’envolait vers le ciel. On était si préoccupé de ce moment redoutable, on avait tant peur de cet avenir incertain et menaçant, qu’ils ne manquaient pas de trouver des dupes qui leur payaient cher leurs recettes.

Il faut replacer le récit de Virgile au milieu de ces préoccupations pour se rendre compte de l’effet qu’il a dû produire. Ce n’était pas tout à fait pour ces âmes inquiètes une œuvre d’art ordinaire, et elles devaient y trouver un intérêt plus puissant et plus vivant que dans le reste de l’ouvrage. Il les entretenait de ces problèmes qui troublaient leur pensée ; il ranimait en eux ces espérances et ces terreurs qu’on pouvait bien oublier un moment quand on était livré à l’activité de la vie, mais qui, selon la réflexion de Platon, finissaient toujours par se réveiller. Ainsi le premier résultat du sixième livre a dû être d’exciter encore et de nourrir ces alarmes, qui étaient alors générales, de pousser les esprits à s’inquiéter de plus en plus de l’état des âmes après la mort, Il est vrai que, si l’on n’en pouvait aborder la lecture sans émotion, on ne devait pas être non plus entièrement satisfait quand elle était finie. Ceux qui venaient y chercher la solution de leurs doutes et une réponse nette et définitive aux questions qu’ils se faisaient sur l’autre vie ne l’y trouvaient pas. Virgile n’est pas un révélateur, et il aurait fallu