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joint, quand il le peut, des promesses à ses prières ; il fonde des legs pour récompenser ceux qui viendront à certaines époques lui apporter des libations et des fleurs, ou qui prendront part aux repas célébrés près de ses cendres. S’il est pauvre, il demande au moins qu’on n’oublie pas ce salut qu’il est d’usage d’accorder à la tombe qu’on rencontre sur son chemin. « Vous qui passez, ne manquez pas de dire avec un sentiment pieux : Que la terre te soit légère ! » Il met une ardeur étrange à réclamer de tout le monde ce souvenir ; pour être sûr qu’on ne le lui refusera pas, il flatte, il implore, il supplie ; il promet au voyageur qui prononcera ces courtes paroles que les dieux récompenseront sa piété, et qu’à son tour il obtiendra les honneurs qu’il accorde aux autres. En voyant l’importance qu’il attache à cette formule banale, il vient à l’esprit qu’il devait lui prêter une certaine efficacité ; il croyait probablement que de quelque manière elle pouvait rendre son sort meilleur dans l’autre vie. Ce n’est donc pas tout à fait une simple politesse dont il n’a que faire en ce moment, c’est un service et un secours qu’il demande, et il faut voir dans ces mots si souvent répétés sur les tombes anciennes quelque chose qui ressemble à la prière pour les morts dans le christianisme. Il en est de même des sacrifices qui doivent s’accomplir sur le tombeau, et pour lesquels on prend d’avance tant de précautions ; j’ai peine à croire qu’on se donnerait tant de mal pour en assurer la perpétuité, pour écarter tous les obstacles qui peuvent s’opposer à leur accomplissement, s’il ne s’agissait que d’une satisfaction de vanité. On devait penser que le mort en recueillait quelque avantage plus réel, et rattacher de quelque manière son bonheur dans l’autre vie aux honneurs qu’on lui rendait sur la terre.

Il est donc très probable que ces instances qu’on fait aux passans pour obtenir leurs prières, ces fondations pieuses pour s’assurer des sacrifices qui durent toujours, témoignent beaucoup moins du désir qu’on a de protéger sa mémoire contre l’oubli que des préoccupations et des inquiétudes causées à tout le monde par la crainte des enfers. Épicure n’était pas parvenu, comme il l’espérait, à en délivrer l’humanité. On se trouvait encore, au commencement de l’empire, dans la même situation d’esprit que Platon décrit en ces termes quatre siècles auparavant : « tu sauras que, lorsqu’un homme se croit aux approches de la mort, certaines choses sur lesquelles il était tranquille auparavant éveillent alors dans son esprit des soucis et des alarmes, surtout ce qu’on raconte des enfers et de leurs châtimens. Ces récits, autrefois l’objet de ses railleries, portent le trouble dans son âme. » En ce terrible moment, on ne pouvait s’empêcher de faire un retour sur sa vie passée, « C’est alors,