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s’éteignent pas avec le corps… » L’affirmation, comme on le voit, est bien timide, et l’on comprend qu’au milieu de ces incertitudes il ne soit pas aisé de saisir la pensée véritable des écrivains de l’empire.

Les inscriptions nous fournissent des renseignemens à la fois plus complets et plus clairs que ceux qui nous viennent de la littérature ; il n’y a pas de question sur laquelle elles répandent plus de lumières. Comme la plupart de celles qui nous restent sont des épitaphes, les gens qui les ont fait graver ont été amenés à nous entretenir souvent de leurs sentimens sur la vie future. Ils sont très loin de s’accorder entre eux, et l’on voit bien qu’il régnait alors à ce sujet une grande variété dans les opinions. Quelques-uns nient l’immortalité de l’âme aussi résolument que Pline et par les mêmes argumens. « Tu n’étais pas autrefois, disent-ils au passant qui s’arrête devant leur tombe : tu existes maintenant, mais bientôt tu ne seras plus. » Ils regardent donc le temps où nous vivons comme un éclair d’existence entre deux infinis de néant. Cette perspective ne paraît pas les inquiéter ; la mort qui les menace, et qui n’aura pas de réveil, n’est pour eux qu’un motif de plus de passer gaîment la vie. « Amis, disent-ils, pendant que nous vivons, vivons ; » ou encore : « Bois, mange, amuse-toi et viens nous trouver. » Leur épicurisme est souvent très grossier. Un soldat nous apprend « qu’il a toujours vécu comme il convient à un homme libre, » c’est-à-dire en menant une joyeuse existence, et il ajoute : « Ce que j’ai bu et ce que j’ai mangé, voilà maintenant tout ce qui me reste. » Le fond de la pensée de tous ces amis des plaisirs faciles, épicuriens de pratique, sinon de doctrine, c’est que, la destinée s’achevant ici-bas, il faut se la faire aussi agréable que possible. D’autres au contraire et en plus grand nombre supposent ou affirment la persistance de la vie ; ils demandent à leur famille et à leurs amis des services dont ils n’auraient pas besoin, si tout devait finir pour eux avec cette existence ; ils parlent des lieux qu’ils vont habiter, ils expriment la pensée que les parens qu’ils ont laissés sur la terre viendront les y rejoindre ; cette espérance console aussi bien ceux qui survivent que ceux qui ne sont plus. — « Ne pleure pas, ma mère, » dit le mort, et la mère répond en demandant à son fils de venir au plus tôt la chercher pour qu’ils soient enfin réunis. — Ces croyances se retrouvent alors dans tous les rangs de la société, mais elles devaient être surtout répandues chez le peuple ; ce sont les malheureux, les pauvres, les opprimés, qui ont besoin de croire que les injustices de la vie présente sont réparées ailleurs, qu’il y a quelque part une punition pour les méchans et des récompenses pour les bons. Suétone rapporte que, lorsqu’on sut à Rome la mort de Tibère, la foule se répandit dans les rues, « priant les dieux mânes de précipiter son ombre dans le séjour des impies. »