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doctrines, devaient dire, comme l’auditeur de Cicéron : « Personne ne m’arrachera de l’âme mes espérances d’immortalité ! » Ainsi cette génération malheureuse qui vit périr la république et qui assista aux proscriptions, partie de l’épicurisme, s’en détachait peu à peu pour se diriger vers d’autres systèmes ou revenir à ses vieilles croyantes. — C’est pour elle que le sixième livre de l’Enéide fut écrit.


II

Si nous nous contentions d’étudier le sixième livre comme une œuvre littéraire, nous n’aurions que des motifs d’admirer ; mais quand on y cherche un ensemble d’opinions et de doctrines, et qu’on veut savoir le sentiment véritable de Virgile sur l’état des âmes après la mort, on est moins satisfait. Ces beaux tableaux, qui, pris isolément, nous enchantent, ne s’accordent pas très bien ensemble. La pensée de l’auteur n’est pas toujours aisée à saisir, il faut souvent la compléter et la corriger pour la comprendre, et l’on y rencontre des contradictions que tous les efforts d’une critique complaisante et sagace ne parviennent pas à expliquer.

Cette obscurité et ces incohérences tiennent à des causes diverses. La plus importante est celle qu’on a déjà signalée en parlant de la religion de Virgile : il a voulu faire entrer dans le sixième livre comme partout des élémens d’origine et d’âge différens, et il ne lui a pas été toujours facile de les concilier. Comme, en décrivant les enfers, il ne voulait pas seulement faire une œuvre de lettré, mais de croyant, il ne s’est pas contenté d’écrire un récit d’imagination, un de ces romans où l’auteur tire ses inventions de lui-même, et qui lui font d’autant plus d’honneur qu’il a plus inventé. Il n’a pas cherché à intéresser son lecteur par la nouveauté de ses peintures ; c’était au contraire son dessein de ne paraître lui rien dire qu’il ne connût. Il voulait le placer en face de lui-même et réveiller en lui l’émotion que lui causait la pensée de la vie future. Il est donc parti de l’opinion commune ; il a essayé de représenter cette autre existence à peu près comme on se la figurait autour de lui. Au commencement de son récit, il invoque les divinités des morts. « Qu’il me soit permis, leur dit-il, de répéter ce que j’ai entendu dire ; puissé-je, sans blesser votre puissance, dévoiler les secrets ensevelis au sein de la terre profonde et ténébreuse ! » De qui donc a-t-il appris ce qu’il va raconter ? Quelle est cette autorité qu’il invoque et dont il tient à se couvrir ? On a prétendu qu’il faisait allusion à l’enseignement caché qu’on donnait dans les mystères, et qu’il voulait nous décrire la vie future ainsi qu’on la montrait aux