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une partie des îles, suspendit ses opérations et l’obligea bientôt à rentrer à Alexandrie. Les Grecs restèrent ainsi pendant plus d’un mois les maîtres dans l’Archipel. Ils en profitèrent pour ravager la côte d’Asie. Cent vingt voiles parties d’Ipsara débarquèrent 3,000 hommes dans le canal de Mitylène. Après avoir brûlé Sandarlik, Guzel-Hissar, Mosco-Nisi, les Grecs se rembarquèrent, et tentèrent une nouvelle descente sur l’île de Métélin. Là ils réussirent à enlever quelques femmes turques appartenant à la riche famille des Kara-Osman-Oglou. Jusqu’alors ils avaient tout massacré sans tenir compte de l’âge ou du sexe ; ils cédèrent cette fois à l’appât d’une rançon de 500,000 piastres. Immédiatement les Turcs égorgèrent 1,500 Grecs à Pergame. Quel était le provocateur ? de quel côté étaient les représailles ? Il serait assurément injuste d’imputer les horreurs de cette guerre féroce à un seul parti ; on ne peut oublier cependant que les Turcs avaient eu durant près de cinq siècles le gouvernement des Grecs ; n’étaient-ils pas jusqu’à un certain point responsables de l’état de civilisation dans lequel ils les avaient laissés ?

En apprenant les descentes opérées sur les côtes de l’Asie-Mineure, le capitaine de Rigny s’était empressé de se rapprocher de Smyrne, « craignant qu’il n’arrivât quelque malheur dans cette ville ; » mais les consuls européens avaient pris les devans. Ils avaient adressé aux Grecs une sorte de sommation pour les inviter à s’abstenir de pousser leurs incursions dans le golfe où tant d’intérêts neutres se trouveraient inévitablement compromis par leur présence. Les Grecs respectèrent cette interdiction, ils ne cessèrent pas pour cela leurs rapines. Les marins d’Hydra et d’Ipsara ne vivaient depuis quelques mois que du produit de leurs pillages. Les coffres des primats albanais étaient vides. Condouriotti, Tombazis, demandaient en vain au gouvernement central de l’argent pour équiper et faire agir la flotte ; l’argent manquait partout. Le riche butin fait sur les armées turques restait entre les mains de la faction militaire dont Colocotroni venait de se déclarer le chef. La dîme des îles, levée par les éparques, rentrait avec difficulté. Des prêteurs aventureux s’étaient, il est vrai, présentés ; on n’avait pu s’entendre sur la nature du gage. Les Grecs ne pouvaient offrir en garantie que les propriétés turques confisquées en Morée, et la restitution de ces biens serait, — on n’en pouvait douter, — la première condition d’un arrangement pacifique. Rendue plus turbulente encore par sa détresse et par son inaction, la milice navale n’aurait pas hésité à tourner ses armes contre les primats, si ceux-ci, cédant aux représentations des commandans étrangers, eussent voulu lui refuser des patentes de course. La piraterie était un mal