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poignée de cendres qu’on recueillait à grand’peine sur le bûcher ne pouvait pas le contenir tout entier ; on eut la pensée qu’il devait rester quelque part autre chose de lui : c’était ce qu’on appelait son ombre, son simulacre, son âme, et l’on supposa que toutes les âmes étaient réunies ensemble au centre de la terre. Cette opinion dut naître d’assez bonne heure, elle est certainement antérieure à une superstition fort ancienne et très curieuse que rapportent les écrivains de l’antiquité, lis nous disent que, lorsqu’on fondait une ville, on commençait par creuser un trou rond qui avait la forme d’un ciel renversé, et que chacun des habitans nouveaux venait y déposer une motte de sa terre natale. Ce trou s’appelait mundus, le fond en était fermé par la pierre des mânes (lapis manalis). On croyait que c’était une des portes de l’empire souterrain. Trois fois par an, le 24 août, le 5 octobre, le 8 novembre, on levait la pierre, et l’on disait que le mundus était ouvert. Ces jours-là les âmes des morts venaient visiter leurs descendans ; pour leur faire honneur, on interrompait toutes les affaires, on ne livrait pas de bataille, on ne levait pas d’armée, on ne tenait pas d’assemblée populaire. Cette superstition suppose qu’on croyait alors que le centre de la terre était le séjour commun des âmes ; c’est là disait-on, que sont situés les trésors de la mort que le terrible Orcus garde avec un soin jaloux.

Ces vieilles croyances subirent bientôt d’autres modifications. À mesure que Rome se trouvait en rapport avec ses voisins, elle empruntait quelque chose de leurs coutumes et de leur manière de voir. On a remarqué que les Romains, si résolus dans l’exécution de leurs desseins politiques et militaires, étaient singulièrement timides pour tout le reste. Aucun peuple n’a plus facilement cédé aux idées des autres ; elles ont toujours fait une certaine impression sur eux, même quand elles étaient en contradiction formelle avec les leurs. La religion romaine supposait que dans le repos de la tombe on est plus heureux et l’on devient meilleur ; elle donnait aux morts le nom de purs et de bons (mânes). Les Étrusques au contraire les croyaient malheureux et malfaisans ; ils pensaient qu’ils se plaisent à faire le tourment des hommes, qu’ils aiment le sang et qu’ils exigent qu’on leur sacrifie des victimes humaines. Ces opinions ont fini par pénétrer à Rome, quoique contraires à son génie et à ses croyances primitives. « Les morts, nous dit une ancienne inscription latine, ne sont agréables ni aux hommes ni aux dieux. » À la place de ces dieux bienveillans et favorables que les vieux Romains invoquaient si volontiers comme les protecteurs naturels de leurs descendans, on se figure « la troupe pâle des mânes, les joues creuses, les cheveux brûlés, errant le long des fleuves sombres. »