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repos éternel qui était pour la plupart d’entre eux ce qu’il y avait de plus souhaitable dans l’autre vie. Aussi se donnaient-ils beaucoup de mal pour se préparer d’avance un tombeau et surtout pour s’en assurer la possession exclusive. Ils espéraient le garantir de toute usurpation et de toute insulte en citant la loi dans leurs épitaphes, en rappelant les amendes auxquelles les spoliateurs sont condamnés, en cherchant à les effrayer par des menaces terribles. Ces inquiétudes, qui tourmentent les Romains de l’empire comme ceux de la république, étaient un héritage du passé ; elles remontaient au temps où l’on croyait que l’âme et le corps reposent ensemble, et que la tombe est vraiment « la maison éternelle où doit se passer l’existence. » Le christianisme, qui était certes fort éloigné de ces opinions, ne parvint pourtant pas du premier coup à détruire des usages dont l’origine était si lointaine et les racines si profondes. On conserva longtemps l’habitude de venir dans les églises célébrer par des festins la mémoire des martyrs. Saint Augustin nous parle avec colère de ces gens « qui boivent sur le tombeau des morts, et qui, servant des repas à des cadavres, s’ensevelissent vivans avec eux. » On vit des chrétiens oublier assez leurs doctrines pour donner encore à leur sépulture le nom de « demeure éternelle. » On continua, pour la protéger, d’y graver des inscriptions pleines de prières ou de menaces. « je vous en conjure, disait-on, par le jour redoutable du jugement, respectez cette tombe. — Que celui qui l’outragera soit anathème, qu’il partage le sort du traître Judas ! » Assurément la plupart de ceux qui parlaient ainsi et qui témoignaient tant de souci pour leur dépouille mortelle ne se souvenaient plus de quelles vieilles croyances leur étaient venus ces préjugés. Cependant ces croyances elles-mêmes n’ont pas péri partout, il s’en trouve des restes dans quelques pays qui sont demeurés plus fidèles à l’esprit du passé. Une chanson klephte prête à un guerrier mourant ces mots, que n’aurait pas désavoués un Romain de l’époque des rois : « mes fils, creusez-moi dans la montagne une tombe spacieuse où je repose tout armé et prêt au combat. Laissez une petite fenêtre ouverte à droite pour que les hirondelles m’annoncent le retour du printemps, et que les rossignols m’apprennent que mai est en fleur. »

Avec le temps, cette croyance naïve que l’existence continue d’une façon obscure au fond de la tombe, que le mort y est enfermé tout entier, qu’il y conserve les besoins et les passions qu’il éprouvait pendant sa vie, sans disparaître tout à fait, finit par se modifier. L’habitude qui s’établit de brûler les cadavres au lieu de les ensevelir aida l’esprit à concevoir que l’homme est composé de plusieurs parties qui se séparent quand il meurt. Cette