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demain un chaos plus épouvantable encore était le résultat de ce déluge. Un mélange indescriptible de voitures, d’artillerie, de fourgons, embarrassait toutes les routes, la plupart versés dans un océan de boue liquide. Les mules, les chevaux par centaines se débattaient dans la vase, les canons y étaient comme ensevelis. Il n’était plus maintenant question d’attaquer, il s’agissait de pouvoir reculer. Les rations étaient épuisées ou perdues, il fallut employer tous les hommes à côteler (corduroy) les routes, c’est-à-dire à jeter en travers de gros troncs d’arbres pour faire une sorte de passage solide. Vingt-quatre heures après, l’armée pataugeait péniblement vers ses anciens campemens, et sa triste campagne restait célèbre dans les annales fédérales sous le nom de mud march, la marche dans la boue. Lee, ne voulant pas s’exposer à la même catastrophe, n’avait pas bougé de ses lignes défensives. Dégoûté par cette dernière déconfiture, Burnside donna sa démission, et fut remplacé par Hooker.

Cet hiver de 1862-63 se passa très tranquillement. Hooker augmentait et équipait son armée, qui comptait maintenant 150,000 hommes. « C’est, disait-il avec orgueil, la plus belle armée de notre planète, tant elle est bien pourvue. » Celle de Lee, au contraire, très diminuée par les pertes de l’été, ne trouvait guère à se recruter dans un pays épuisé d’hommes et d’argent, et qui n’avait pas comme le nord la ressource presque inépuisable de l’élément étranger.

Au mois d’avril 1863, le commandant fédéral fit une nouvelle tentative pour s’emparer des positions si enviées de Fredericksburg. Son plan était de traverser le Rapidan à quelques lieues plus haut (le Rapidan se jette dans le Rappahanock un peu au-dessus de la ville), d’y occuper avec une partie de son armée le petit hameau de Chancellorsville, et, envoyant le reste de ses troupes derrière les positions de Lee, de le prendre ainsi à revers. Un cordon de cavalerie, détruisant les lignes des chemins de fer tout autour, devait couper la retraite des confédérés. Ce plan était habilement conçu, car, sauf du seul côté où Hooker était le maître, Chancellorsville était absolument inabordable. Situé dans une région de forêts épaisses et de taillis inextricables, le petit village se composait d’une grande taverne pour les rares voyageurs qu’attiraient dans ce lugubre pays quelques hauts-fourneaux, d’une église et de quelques maisons de mineurs. Le triste aspect de ces interminables bois de sapins, de ces longues routes faites de planches ou de troncs d’arbres jetés sur les fondrières infranchissables, avait valu à cette sombre région le nom de Wilderness.

Traversant le Rappahanock et le Rapidan, Hooker s’établit avec le gros de son armée dans cet endroit sauvage, et, ajoutant aux dé-