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les fédéraux avaient entre leurs mains deux chemins de fer qui leur permettaient de faciles retraites.

Lee eut donc à supporter, après une pénible campagne sans gloire, mais harassante de fatigues, le poids d’une déception générale. Il ne voulut pas révéler, ce que le gouvernement seul savait, à quel point la désobéissance à ses plans et à ses ordres avait été la cause de son insuccès, ne voulant nuire à aucun de ceux qui portaient l’uniforme de la confédération. Pendant l’hiver, il fut chargé de mettre en état de défense les côtes de la Géorgie et de la Caroline du sud, et ses admirables travaux lui regagnèrent rapidement cette popularité qui ne devait plus l’abandonner.



II.


Revenons un peu en arrière pour suivre à grands pas les événemens qui s’étaient passés dans le reste de la Virginie. Le 10 juin 1861, la guerre avait éclaté. Le premier coup de fusil était tiré à York-town, et un engagement y avait eu lieu, suivi peu après par la bataille de Manassas, dans le nord de la Virginie, où les deux armées en vinrent pour la première fois sérieusement aux mains. Ici le vaillant Jackson, à la tête de sa fameuse 1re brigade, avait acquis tout d’abord ses titres à une immortelle renommée.

Nous aurons trop souvent l’occasion de parler de cet officier, l’un des types les plus étranges et les plus frappans qu’ait produits cette longue guerre, pour ne pas essayer de le dépeindre en quelques mots. Jackson présentait le contraste le plus complet, au physique et au moral, avec Lee, dont il allait bientôt devenir le meilleur lieutenant. Virginien lui aussi, mais d’une de ces familles obscures et laborieuses de l’ouest, il était arrivé à force de travail et de volonté à être professeur à l’école militaire de Lexington après avoir gagné dans la guerre du Mexique son grade de major. Les cadets, auxquels il faisait les classes de philosophie expérimentale et d’artillerie, se doutaient peu de la valeur et du génie militaire de leur grave et assez peu sympathique professeur. Sa tournure gauche, son grand corps maigre et disloqué, sa démarche raide et ses continuelles distractions le mettaient en butte aux intarissables plaisanteries de ses élèves, qui d’ailleurs n’appréciaient guère sa sévérité. Il avait en effet bien peu de l’apparence du héros ; mais sous ces bizarreries de caractère et de tournure qui le rendaient grotesque, se cachaient les plus nobles qualités, une piété ardente, un courage indomptable, une persévérance à toute épreuve. Pour lui, la religion chrétienne était une pratique de tous les instans, et à Lexington, comme plus tard dans les camps, ses habitudes de prière, de culte et de méditation prenaient une large portion de ses jour-