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patriciennes émigrés d’Angleterre, gardait au plus haut point le sentiment de sa dignité, et chez elle on retrouvait les façons courtoises, graves, calmes, un peu lentes des temps passés. Aussi la Virginie était-elle l’état le moins républicain de l’Union. Ce fut dans ces conditions d’existence sociale que naquit et vécut Robert Lee, dont nous allons essayer d’esquisser le caractère et raconter la vie.

La famille des Lee était, parmi celles qui composaient cette aristocratie virginienne toute patriarcale, une des plus considérables et des plus anciennes. Mêlés à tous les événemens importans de l’histoire de leur pays, y jouant constamment depuis près de deux siècles des rôles marquans, ils portaient un nom dont ils faisaient remonter la noblesse aux temps de la conquête d’Angleterre. Leur ancêtre Lancelot Lee de Loudun, qui avait accompagné Guillaume le Conquérant, en avait reçu une propriété en Essex et s’y était fixé. Un de ses descendans, qui suivit aux croisades Richard Cœur-de-Lion, fut récompensé de sa bravoure au siège de Saint-Jean-d’Acre par le titre de earl of Litchfield, et, lorsqu’il mourut, son armure fut placée dans la Tour de Londres, où on la montre encore. Plus tard, en 1542, un autre descendant s’étant distingué dans les guerres d’Écosse, sa bannière avec la devise : non incautus futuri, que portent encore les Lee, eut l’honneur d’être suspendue dans la chapelle royale de Windsor. Walter Scott, dépeignant dans son roman de Woodstock le beau caractère du vieux sir Henry Lee of Ditchley, ne faisait qu’un portrait d’après nature.

Le premier de la famille qui, traversant l’Atlantique, alla se fixer en Virginie fut Richard Lee, qui, comme membre du conseil privé, avait été exilé d’Angleterre à la mort de Charles Ier. Il y acquit de grandes propriétés et s’y établit ; mais l’éloignement ne diminuait pas l’ardeur de sa fidélité royaliste, et il repassa l’Océan pour aller offrir à Charles II, en exil à Bréda, de le faire nommer roi en Virginie. Le jeune prince refusa cette proposition plus zélée que praticable, et Lee retourna en Amérique, mais non sans avoir laissé dans l’esprit du jeune monarque une forte impression en faveur de ses loyaux Virginiens. Aussi plus tard, à son couronnement, Charles II porta-t-il un manteau de sacre en soie de Virginie, et par un décret royal éleva sa fidèle province d’outre-mer au même rang que ses trois royaumes anglais, avec cette devise : en dat Virginia quartam. Les descendans de ce premier fondateur de la famille en Virginie continuèrent par leurs talens politiques et leurs hautes positions à illustrer un nom déjà célèbre. L’un d’eux, Thomas Lee, nommé président du conseil et gouverneur de la colonie, était tellement estimé en Angleterre, que, lorsque le vieux manoir