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verselle qui s’est ouverte il y a peu de jours à Vienne, qui va devenir le rendez-vous de tous les curieux du monde, sans parler des princes et des diplomates. C’est là l’histoire du moment. La visite que l’empereur de Russie faisait le dernier automne à l’empereur d’Allemagne à Berlin, l’empereur Guillaume vient de la rendre à l’empereur Alexandre à Pétersbourg ; il est arrivé il y a peu de jours, avec M. de Bismarck, avec M. de Moltke, dans tout l’éclat de sa nouvelle dignité impériale, et la ville des tsars, toujours fort amoureuse de spectacles, s’est mise en frais de fêtes, d’ovations et d’illuminations. Pour cet hôte allemand arrivant à Pétersbourg, on n’a pas voulu faire moins qu’on ne faisait l’an dernier pour le tsar à Berlin. L’intimité des chefs des deux empires, intimité qui s’explique d’ailleurs naturellement par les liens de famille, s’est attestée de toute façon. Quant à la politique, elle n’a point été bannie sans doute des entretiens qui ont pu s’engager ; M. de Bismarck n’était pas là pour rien.

L’entrevue de Pétersbourg n’est peut-être elle-même au surplus qu’un préliminaire de ces excursions d’été. Les deux empereurs de Russie et d’Allemagne paraissent devoir aller bientôt à Vienne, où il pourrait y avoir, ne fût-ce qu’en apparence, une sorte de représentation nouvelle de l’ancienne alliance du nord. C’est là évidemment une idée qui est entrée dans certaines têtes et à laquelle les événemens qu’on se plaît à considérer comme possibles en France ont pu donner un semblant de crédit. Est-ce à dire que cette idée, propagée par des journaux étrangers hostiles à la France, ait été réellement conçue ou entrevue par les cabinets, que la diplomatie ait eu même à délibérer sur des éventualités dont on se fait un fantôme ? On n’en est certes pas là L’alliance du nord, cette réduction de la sainte-alliance d’autrefois, n’est pas aussi facile à refaire qu’on le croit. Depuis le temps où elle constituait au nord de l’Europe le faisceau des puissances absolutistes toujours en méfiance vis-à-vis de l’influence française, tout a changé, les hommes, les idées, les intérêts, les circonstances. Si l’équilibre est en péril, il n’est plus menacé du même côté. Entre la Russie et l’Allemagne, quelle que soit l’intimité des souverains, il y a trop de divergences ou de conflits possibles pour qu’une véritable alliance politique puisse se nouer aisément. Entre l’Allemagne et la Russie d’une part et l’Autriche d’autre part, il y a des souvenirs amers ou des ombrages que des événemens nouveaux n’ont pu dissiper. On peut oublier ou faire comme si on oubliait ce qu’on n’a pas intérêt à se rappeler. Ce n’est pas une raison pour le cabinet de Vienne de se mettre à la remorque de M. de Bismarck. L’Autriche s’est fait d’ailleurs aujourd’hui de la paix une politique raisonnée, coordonnée et permanente. Elle n’est point assurément disposée à entrer dans ce qu’on pourrait appeler des alliances d’action, moins encore dans des combinaisons dont la France pourrait avoir à se plaindre.