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est et où l’on veut la conduire. Elle ne voit pas de chemin ouvert devant elle. La direction qu’elle ne trouve pas dans sa propre conscience fort embrouillée, elle ne la trouve pas beaucoup mieux dans l’assemblée et dans le gouvernement. Elle est réduite le plus souvent à rester la spectatrice d’oscillations, de combinaisons ou de conflits qu’elle ne s’explique pas, et alors, un jour où elle est convoquée pour dire son mot, elle laisse l’assemblée et le gouvernement à leurs querelles, les partis modérés à leurs divisions, et elle vote pour l’inconnu, pour l’opposition, pour un radical ou pour un bonapartiste, sans se demander ce qui arrivera d’une manifestation dont les conséquences lui échappent, quoiqu’elle soit en définitive la première à les supporter. C’est malheureusement la force et le péril du suffrage universel d’être ainsi tout d’instinct, sans mesure et sans prévoyance, comme il est sans responsabilité apparente. Il suit le souffle du moment, il vote aujourd’hui pour des radicaux comme il votait au 8 février 1871 pour des conservateurs. Il a changé depuis deux ans, ou il paraît avoir changé, c’est parfaitement clair. Peut-on dire pourquoi il a changé ? Probablement parce qu’on ne lui a pas donné sous une forme ou sous l’autre la fixité et la direction qu’il demandait. C’est la faute du gouvernement, dit la droite de l’assemblée ; c’est la faute de l’assemblée, dit-on autour du gouvernement. C’est bien sans doute la faute de quelqu’un, car pour la masse de la France, quels que soient certains votes partiels, elle reste avec des intérêts, des instincts, des besoins de sécurité et de conservation qui ne changent pas, dont une politique vraiment sérieuse est tenue plus que jamais de s’inspirer et de s’occuper sous peine de laisser se prolonger une indécision qui ne profite qu’aux partis extrêmes.

Ce que l’assemblée pourra faire à la prochaine rentrée du 19 pour sortir de l’impasse où l’on se trouve, pour reprendre la direction et l’autorité au milieu de ces troubles d’opinion qui n’ont favorisé jusqu’ici que le radicalisme, nul ne peut le dire encore ni même le pressentir, puisque la commission de permanence a évité jusqu’à l’apparence d’une interrogation adressée aux ministres qui se sont présentés devant elle. La question reste entière. Une seule chose est certaine, on se prépare un peu de toutes parts. On se prépare au camp de la droite, au centre droit, on nomme un comité chargé de tracer un système de conduite, ou, si l’on veut, un plan d’opérations pour la session prochaine ; on se prépare, du côté de la gauche, à faire campagne avec le mot d’ordre des élections, mot presque naïf ou presque ironique par la bizarrerie du rapprochement : république et dissolution ! Entre la gauche et la droite, le gouvernement se prépare, il se dispose à présenter, dès la réunion de l’assemblée, les projets constitutionnels prévus par la loi des trente, et il saisira sans doute cette occasion de dire sa pensée, d’exposer de nouveau sa politique. Malheureusement c’est ici que recommencent toutes les complications. On prétend en finir à tout prix