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M. Thiers qui médite un coup d’état, c’est la droite qui dresse des plans de campagne, c’est la conspiration des ducs qui s’organise pour renverser M. Thiers et la république. Un jour c’est l’assemblée qui doit disparaître sous l’injonction du dernier scrutin, un autre jour c’est M. le président de la république qui doit s’en aller sous la sommation de la majorité parlementaire constituée en gouvernement de combat. On n’a que le choix des coups de théâtre, et voilà pourtant dans quelle atmosphère on nous fait vivre depuis quelques jours ! C’est là le régime auquel on soumet ce malheureux pays, qui a certes bien de la peine à se reconnaître dans ses affaires, qui vote quelquefois sans trop savoir pourquoi et sur quoi il vote, et qui, faute d’être conduit, ne sachant plus où il en est, finit par aggraver de son propre trouble le trouble de ses conducteurs eux-mêmes.

On avait cru un moment, par une illusion singulière, que les quelques semaines de vacances que l’assemblée s’était données après les luttes laborieuses des derniers mois allaient être un temps de repos et de trêve dont on profiterait pour se recueillir, pour retrouver, un certain équilibre d’esprit et de jugement avant de revenir se mettre à l’œuvre à Versailles, On comptait sans l’élection du 27 avril, qui est venue faire une bruyante diversion, et, puisque les circonstances l’ont voulu ainsi ; c’était encore heureux que l’assemblée se trouvât dispersée, qu’elle ne fût pas au bout de ses vacances. Si elle avait été réunie, elle aurait peut-être subi le contre-coup des émotions du moment ; on se serait laissé aller à une impression trop vive des choses ; à des résolutions soudaines. Maintenant que les premiers jours sont passés et qu’on a eu le temps de se calmer un peu, de réfléchir, ce qu’il y a de mieux pour tous les intérêts, pour le pays, pour toutes les opinions, pour le gouvernement lui-même, c’est d’arriver sans plus de retard à la réunion prochaine de l’assemblée, à cette rentrée du 19, ne fût-ce que pour en finir avec ces indécisions et ces fantômes au milieu desquels. on vit depuis quelques semaines, ne fût-ce que pour reprendre pied sur la réalité.

Eh bien ! soit, rien n’est plus vrai : les élections du 27 avril ont été un fait grave, à peu près inattendu, et elles ne sont nullement corrigées par les élections qui viennent encore de se faire il y a trois jours, le 11 mai, dans le Rhône, la Charente-Inférieure, le Loir-et-Cher et la Haute-Vienne. Paris s’était donné au 27 avril le passetemps de nommer M. Barodet, qu’il ne connaissait pas Lyon a eu le 11 mai la fantaisie de venir chercher à Paris M. Ranc, qu’il ne connaît pas davantage, et, pour le dire en passant, jamais les inventeurs de candidatures officielles n’ont mieux fait que les comités démocratiques, jamais ils ne se sont moins gênés pour imposer aux populations des représentans dont la veille elles ne soupçonnaient même pas l’existence. Les nouveaux élus de ces deux journées de scrutin, sauf un légitimiste nommé dans le Morbihan et un bonapartiste, ancien préfet, nommé dans la Charente-Inférieure,