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avec une économie sur les dépenses militaires, l’attribution par l’état d’un salaire fixe ; au clergé avec l’élection des pasteurs par les paroissiens, l’affranchissement de la propriété avec le maintien des terres roturières aux mains des paysans ? Mais les rédacteurs du manifeste s’étaient peut-être moins préoccupés de la valeur intrinsèque des doctrines que du désir de fournir des thèmes à l’opposition populaire.

La campagne électorale fut vigoureusement menée. Tandis que les conservateurs n’oubliaient pas assez les querelles de personnes ou les rivalités locales, les partisans de la gauche-réunie, obéissant à un mot d’ordre, agissaient avec une parfaite entente. Ainsi qu’on devait s’y attendre, les socialistes ne restèrent pas inactifs ; afin de donner le change, ils essayèrent de faire croire qu’ils n’étaient séparés de la gauche-réunie que par des nuances. Suppléant à l’insuffisance du nombre par le caractère bruyant de leurs manifestations, ils multiplièrent leurs meetings, passant et repassant dans les lieux de réunion, comme les comparses de certaines pièces de théâtre. Dans les grands centres, notamment dans la capitale, ils échouèrent complètement ; mais dans le Jutland ils réussirent à faire passer huit de leurs candidats.

Comme il arrive presque partout, les conservateurs montrèrent moins d’activité que leurs adversaires. Les nationaux-libéraux, qui sont les auteurs principaux du système parlementaire établi depuis 1849 et détiennent en ce moment le pouvoir, ne s’accordent pas toujours avec les grands propriétaires, qui forment ce qu’on pourrait appeler l’extrême droite du parlement, et qui ne voient pas sans regret l’amoindrissement de leur influence territoriale. Les difficultés de la question agraire, déjà en partie résolue contrairement à leurs anciennes opinions, ne laissent pas de leur causer une certaine lassitude, et ils n’apportent pas dans les luttes électorales cet entrain, cette confiance, qui, la plupart du temps, sont les présages de la victoire. Il ne faut pas croire toutefois que les conservateurs n’aient pas développé avec fermeté leur programme. « On connaît, disaient-ils, les idées du parti avancé contre les dépenses militaires, contre les armées permanentes, et les singulières théories qu’il professe en matière de défense nationale. On sait également de quelle méfiance il est animé à l’égard de tout ce qui dépasse un certain niveau de culture sociale. Ne serait-on donc pas fondé à craindre que son avènement au pouvoir ne fût une cause d’affaiblissement pour le sentiment patriotique et pour les progrès moraux de la nation ? » Les conservateurs insistaient en même temps sur la nécessité de maintenir l’équilibre actuel des pouvoirs, qui serait forcément interrompu si l’importance de la seconde chambre était exagérée au détriment de la première et des forces gouvernementales. C’est un principe généralement admis que le frein d’une chambre haute, gardienne du pacte fondamental et des idées conservatrices, est nécessaire au mécanisme des institutions, constitutionnelles. Pourquoi donc vouloir