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voisines ; la cavalerie dut mettre le sabre à la main. La foule, en s’écoulant, brisa quelques fenêtres et démolit des réverbères. Assurément cette échauffourée fut plus ridicule que sérieuse ; elle n’en était pas moins faite pour inspirer des réflexions salutaires à tous ceux qui savent combien les germes révolutionnaires se développent rapidement, si on ne tranche pas le mal dans sa racine. Une cérémonie nationale qui se célèbre chaque année pour l’anniversaire du jour où fut promulguée la constitution montra bientôt l’audace de l’Internationale. Le 5 juin 1872, la fête fut attristée par la présence de sept ou huit cents individus affiliés à la secte. Ces démagogues formaient un groupe distinct ; à défaut du drapeau rouge, ils s’étaient contentés d’écharpes de la même couleur ; ils refusèrent de saluer le drapeau danois et de s’associer aux vivats poussés en l’honneur du roi Christian IX.

Il est juste de constater à l’honneur du Danemark que le bon sens public y a déjà opéré une utile réaction. Ce ne sont pas seulement les forces gouvernementales, c’est aussi l’initiative personnelle des conservateurs qui doit imposer une digue aux flots envahissans. En dehors des moyens matériels, qui malheureusement sont quelquefois indispensables, il faut agir par les moyens moraux, par la persuasion, par la plume et par la parole. Plus d’un patron, allant au-devant des demandes, a spontanément provoqué ses ouvriers à des réunions amiables où l’on cherchait pacifiquement et loyalement à se mettre d’accord. Si le mal a diminué depuis quelque temps, c’est que les conservateurs ont opposé à l’idée révolutionnaire celle de réformes graduelles et raisonnables. Sociétés de secours mutuels, association pour les frais de maladie, pour les retraites de vieillesse, pour l’achat des objets de première nécessité, pour la construction de cités ouvrières, telles ont été les améliorations réalisées depuis quelques mois par des personnes actives et charitables, dont les efforts affermissent avec le parti de l’ordre le sentiment de conservation. Toutefois, bien que la propagande de l’Internationale paraisse en ce moment surtout cantonnée dans le Jutland, où un instituteur du nom de Björnbak a érigé une sorte de petite église socialiste, il faudrait se garder de croire que les autres provinces de la monarchie ne soient plus menacées. L’Internationale est toujours à la piste des désordres, voulant susciter de nouvelles grèves et se proposant d’envenimer la question agraire au profit des tendances anarchiques. Sa tactique consisterait en outre à exploiter les discussions ardentes du parlement et à poser ainsi la question sociale sous prétexte de politique. Aussi les différens partis qui se disputent le pouvoir au sein des chambres danoises doivent-ils éviter toute compromission avec les agens secrets ou déclarés du socialisme, qui voudraient infiltrer le venin de l’anarchie jusque dans le mécanisme des institutions constitutionnelles.