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à une simple spéculation de librairie ; mais bientôt la polémique s’accentua ; le Socialiste signalait. avec une joie emphatique les progrès de la secte dont il était l’écho ; il concluait en faisant appel à tous les partisans des doctrines communistes à l’effet d’établir en Danemark une section de la Société internationale des travailleurs.

Cependant les articles de la constitution qui garantissent la liberté de la presse ainsi que les droits de réunion et d’association ne permettaient pas au gouvernement de recourir à des mesures répressives tant que le mouvement ne se traduirait point par des attaques directes contre les lois et les autorités du pays. Les sectaires continuaient donc énergiquement leur travail. Dans des réunions tenues à Copenhague, on recueillait des souscriptions et des adhésions à l’Internationale, et ce n’était pas sans surprise qu’on remarquait en Danemark, dans le compte-rendu d’une réunion de Londres, la signature d’un secrétaire pour la section danoise. En même temps, quelques tentatives de grève se produisaient. L’Internationale n’établissait pas son centre d’action en Danemark à Copenhague, parce que cette capitale, séparée du reste du royaume, est située à sa limite extrême, et choisissait Aarhus comme base d’opérations. De nombreux meetings avaient lieu dans ce chef-lieu du Jutland. Le gouvernement commençait à s’en inquiéter. S’il voyait sans trop d’émotion l’agitation ouvrière se propager dans les villes, il n’était pas aussi rassuré en songeant aux populations des campagnes.

Quelques détails sur la propriété foncière en Danemark feront comprendre facilement où serait le danger. Au moyen âge, les laboureurs furent obligés de chercher auprès des seigneurs féodaux, moyennant une redevance, la protection nécessaire pour exploiter tranquillement la terre sur laquelle ils vivaient. Transmise par héritage, cette coutume prolongée de payer et de recevoir une rente dégénéra peu à peu en une véritable servitude. Tant que dura le régime féodal, les choses restèrent en cet état : le paysan demeurait paisible possesseur d’une terre qu’il léguait à qui il voulait ; le seigneur était satisfait de la rente qu’on lui payait régulièrement. Lorsque le servage fut aboli et que le paysan fut mis à même de revendiquer ses droits, une question que le temps n’a pas encore résolue se posa entre lui et son ancien maître : à qui appartenait la terre ? Un compromis eut lieu. Ceux des paysans qui étaient riches maintinrent leur droit à un fermage héréditaire, grevant ainsi le sol d’une servitude souvent incommode, dont quelques propriétaires parvinrent à se libérer par une vente faite à l’amiable. Déjà trois cinquièmes des terres ainsi possédées se sont affranchies ou sont passées aux paysans, et c’est pour forcer la main aux détenteurs encore récalcitrans qu’un parti nombreux voudrait faire adopter par le parlement danois une loi de vente obligatoire.

A côté des riches paysans qui ont trouvé le moyen de changer la