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réservant à lui-même une sorte de domaine éminent ; tous ses actes et toutes ses lois sont l’opposé d’une telle prétention. Les codes impériaux ne cessent de mentionner une classe de propriétaires qu’ils appellent domini. La relation légale entre eux et le sol est marquée par les deux termes également précis et énergiques de dominium et proprietas. L’hérédité est reconnue sans aucune contestation : nul obstacle n’est opposé à la vente, au legs, à la donation ; l’état ne se réserve aucune espèce de privilège sur la terre.

Il est vrai que le domaine public était immense ; mais il n’était pas inaliénable ; la vente le transformait en propriété privée sans aucune réserve. Si l’on est frappé de quelques lois qui montrent le fisc avide et âpre à saisir la terre, il y en a d’autres qui montrent avec quelle facilité il se dessaisissait. Le précieux recueil des agrimensores, les maîtres arpenteurs de ce temps-là signale fréquemment les terres qui étaient concédées à des particuliers et qui n’étaient jamais reprises. Ces mêmes écrivains racontent un fait bien significatif qui se passa sous Vespasien. L’empereur, ayant besoin d’argent, voulut mettre en vente les terres que l’état possédait en Italie. Ces terres étaient occupées par des particuliers sans aucun titre : il n’était pas douteux qu’on n’eût le droit de les leur reprendre ; mais, aussitôt que le décret parut, l’Italie entière s’agita, des députations portèrent au prince les plaintes et les réclamations de toute la population agricole. Il dut céder. Il permit que son décret restât inexécuté, et après lui Domitien accorda aux occupans la possession légitime du sol[1]. Aucun empereur ne paraît avoir renouvelé l’essai infructueux de Vespasien. Nous pouvons donc croire que l’état perdit ainsi une notable partie de son domaine. Dans les siècles suivans, les codes font souvent mention de terres données, fundi donati. On aperçoit bien que les empereurs regrettèrent de les avoir données ; mais on n’aperçoit pas qu’ils aient jamais pu les reprendre. Nulle statistique n’est possible au sujet de l’empire romain ; il y a au moins grande apparence qu’en dépit des confiscations le domaine public alla toujours en s’amoindrissant, et que, dans ces cinq siècles, la propriété privée ne cessa pas d’être en progrès.

L’acte qui a été renouvelé le plus fréquemment par les empereurs et qui caractérise le mieux leur politique traditionnelle fut la fondation des colonies. Le nombre en a été incalculable ; elles couvrirent l’Italie et les provinces. Or ces colonies n’avaient aucune ressemblance avec ce que nous appelons aujourd’hui de ce nom ; elles étaient précisément le contraire d’une émigration au dehors.

  1. Voyez le recueil des Gromatici veteres, édit. Lachmann, p. 20, 54, 111, 163, 284.