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De l’année, ils quittaient leur résidence de campagne pour habiter leur maison de ville. Ils exerçaient les magistratures urbaines : quelques-uns les briguaient et se les disputaient ; d’autres les fuyaient au contraire et auraient voulu y échapper, mais les convenances, la mode, les sollicitations des amis les ramenaient incessamment vers elles, et au besoin les lois elles-mêmes les obligeaient à les remplir. Il est à remarquer aussi que c’était parmi ces grands propriétaires que l’empire allait chercher ordinairement ses fonctionnaires de l’ordre le plus élevé, au lieu de les prendre par voie d’avancement parmi les employés subalternes de ses administrations. Ces riches sénateurs de province devenaient aisément consuls, présidens, recteurs, préfets du prétoire. Ils prenaient part de cette façon à l’autorité politique et formaient la classe dirigeante. Un peu plus tard et pour les mêmes motifs, la population choisit parmi eux les évêques. Ainsi, même en face du gouvernement impérial, la terre était une puissance, et c’était elle qui donnait la plus sûre noblesse ; à l’exception des grades de l’armée, tout venait d’elle et se rattachait à elle. La propriété foncière était la grande force sociale et pour ainsi dire l’âme du corps de l’empire.

Cette absence presque complète de ce que nous appelons aujourd’hui les capitaux ou les valeurs mobilières et cette importance unique du sol, cet effacement de la population industrielle et urbaine et cette suprématie incontestée de la classe des propriétaires, sont les faits qui dominent et régissent l’état social de ce temps-là C’est de là qu’il faut partir pour comprendre les changemens qui se sont opérés dans les siècles suivans ; il est arrivé en effet que, comme les intérêts fonciers étaient tout-puissans dans la société, les événemens ont suivi le cours naturel que leur traçaient ces intérêts. La population urbaine était trop faible et trop subordonnée pour exercer quelque influence sur la. marche des institutions, Ce n’était pas elle assurément qui devait créer le régime féodal ; mais ce n’était pas elle non plus qui pouvait l’empêcher de s’établir.


I. — DU DROIT DE PROPRIETE DANS L’EMPIRE ROMAIN.

Il semble qu’après la conquête du monde par les Romains la propriété privée aurait dû disparaître presque entièrement de la terre. En effet, le droit civil de Rome ne reconnaissait la vraie propriété que dans la personne 4u citoyen romain et sur la terre purement romaine, c’est-à-dire dans les étroites limites de l’ancien ager romanus. La règle était que tous les peuples vaincus fussent dépossédés : un sujet ne pouvait pas être propriétaire ; la conquête avait brisé tout lien légal entre l’homme et le sol. En vertu de ce