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maintenant la cime des arbres, lui permit de reconnaître Elmas assise au bord de l’étang et le Français que Nazli guidait à travers les allées. Elle modifia ses instructions en conséquence. Tossoun sortit seul par l’entrée principale de la maison, fit le tour des murs extérieurs, et vint rouler une lourde pierre devant la petite porte. Il coupait ainsi la retraite au Français, car cette porte s’ouvrait du dedans au dehors. Tout cela se fit en silence et sans que rien avertît les amans du danger qui les menaçait.

Maimbert trouva sa maîtresse presque défaillante, aussi pâle que le marbre sur lequel elle s’appuyait. Elle s’était couverte de son voile : peut-être craignait-elle d’alarmer le Français en lui laissant voir tout de suite ses traits où la mort avait déjà mis son empreinte ; peut-être aussi avait-elle quelque honte de montrer sa beauté flétrie par de longues souffrances. Quand celui-ci lui découvrit le visage pour l’embrasser, il eut peine à la reconnaître. — Je suis bien changée, n’est-ce pas ? dit-elle en souriant tristement. La maladie a fait de moi une vieille femme. Je le regrette moins en songeant que nous ne devons plus nous voir. Je vais partir pour un long, très long voyage. Dans quelques jours j’aurai quitté Smyrne, et il serait inutile de m’y chercher ; mais, quoi qu’il arrive, le vous aimerai toujours. Ne me croyez pas aussi malade que j’en ai l’air : je me sens forte, le guérirai. Vous, quittez Smyrne le plus tôt possible, et partez pour votre pays. De sérieux dangers vous menacent, si vous restez ici…

Maimbert, stupéfait, l’écoutait sans la comprendre. Quelle maladie mystérieuse avait pu, en moins d’un mois, frapper si cruellement cette femme, jadis pleine de force et de santé ? De quel voyage, de quels dangers voulait-elle parler ? Il essaya de l’interroger : Elmas l’interrompit. — Ne m’en demandez pas davantage, dit-elle. Il faut que vous n’emportiez de cette ville maudite que le souvenir de notre amour. Partez au plus vite. Quant à moi, dans quelques jours je ne serai plus là. Je vais au bout de l’empire, à Mossoul, à Bagdad, plus loin encore. Adieu, le temps presse ; en restant dans ce jardin, nous jouons un jeu terrible. Laissez-moi vous embrasser une dernière fois, et fuyez au plus vite par où vous êtes venu.

Elle se suspendit à son cou et l’embrassa avec passion ; puis, lui prenant les deux mains, elle le regarda longuement, sans parler. Elle se leva et resta debout, frissonnant chaque fois que le vent de la nuit effleurait ses joues pâles et soulevait les boucles de ses cheveux, qu’elle n’avait pas pris soin d’attacher. — Adieu, dit-elle encore en se détournant pour cacher une larme qui coulait le long de ses joues ; sois heureux et rappelle-toi que je t’ai bien aimé ! — Sous l’influence de l’excitation nerveuse causée par cette scène, elle