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la cadine releva la tête et la regarda avec étonnement. — Que fais-tu ici ? demanda-t-elle. Ne t’ai-je pas dit que le n’avais plus besoin de toi ?

— Tu as encore besoin de ta vieille Kieur-Sarah, Nedjibé-Hanem. Achète la pièce à fond rouge, et le t’indiquerai un moyen d’en finir avec tes peines.

Nedjibé refusa d’abord ; mais, poussée par une curiosité d’enfant, elle finit par prendre sans marchander la robe de soie de Lyon. L’affaire conclue, elle ordonna à la Juive de lui faire part de son moyen. Kieur-Sarah s’approcha et lui dit quelques mots à l’oreille. — Il y a de gros risques, répondit la fille de l’imam après deux ou trois minutes de réflexion. Qui m’assure que tu ne me trahiras pas ?

— Mon intérêt d’abord. Et depuis que tu me connais, ne t’ai-je pas prouvé que tu peux avoir en moi toute confiance ?

— Ce que tu me conseilles est bien grave, et doit peser sur la conscience au jour du jugement.

— Je ne suis qu’une pauvre Juive, Nedjibé-Hanem, mais j’écoute ce qui se dit par le monde, et j’ai toujours vécu au milieu des musulmans. Plus d’un sultan qui a eu recours au moyen que le t’indique a été approuvé par les fetvahs des interprètes de la religion. D’ailleurs n’as-tu pas dit toi-même que cette femme était une guiaour plutôt qu’une musulmane ?

La conférence dura plus d’une heure encore. Lorsque Kieur-Sarah sortit du harem, elle s’était défaite de presque toute sa marchandise, et cinquante medjidiés d’or lui étaient promis en cas de succès de l’expédient qu’elle avait suggéré. On ne sera plus étonné en apprenant que, dans le misérable galetas qu’elle habitait au fond du quartier juif, Kieur-Sarah cachait une fortune.

Il est nécessaire, pour faire comprendre la suite de ce récit, de dire quelques mots des dispositions intérieures de la Maison des Roses. Quoique assez haute, elle était bâtie au rez-de-chaussée sans étage supérieur, Le salon du bey et les pièces où le public pouvait pénétrer se trouvaient dans l’aile gauche ; le reste de l’habitation était réservé au harem. Elmas occupait une partie de l’aile droite ; son appartement se composait d’un salon, d’une pièce plus petite qui servait à la fois, suivant l’usage turc, de chambre à coucher, de salle à manger et de boudoir, enfin d’une grande chambre où les esclaves logeaient ensemble, L’appartement de Nedjibé, à peu près pareil, était situé à l’autre extrémité du harem, près de l’aile gauche ; un large vestibule donnant accès par une porte-fenêtre dans le jardin s’étendait comme un terrain neutre entre les domaines respectifs des deux rivales. C’est là qu’on recevait les visites de cérémonie des harems étrangers au harem de Djémil-Bey ; c’est